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guère accessible qu’à la batellerie. Il faudrait l’élargir et l’approfondir pour qu’il donnât passage aux gros bâtimens. Des travaux français dont il ne nous est pas interdit de rappeler la hardiesse et la réussite, ceux du canal de Suez, ont récemment démontré la possibilité d’accomplir des œuvres de cette grandeur ; mais l’étude de celle-ci, souvent recommandée dans le Reichstag, n’est pas encore achevée, ou du moins l’exécution en est différée pour bien des raisons que le gouvernement ne démasque pas encore, et entre autres parce qu’il serait nécessaire aujourd’hui d’y consacrer 200 millions. Ne vaudrait-il pas mieux l’avoir au prix qu’a coûté la baie de Kiel ? La Prusse, enrichie par nos revers, devrait pouvoir considérer 200 millions de dépense d’un œil philosophique ; mais son gouvernement a tant dilapidé en arméniens de toute espèce qu’une entreprise de plus serait prématurée. L’or récolté en France aurait dû profiter à la Prusse, y vivifier la circulation, y répandre la santé et le bien-être ; mais elle a gaspillé ses trésors en préparatifs belliqueux, et c’est peut-être sur ces préparatifs mêmes qu’elle compte pour remplacer avec intérêt l’argent dépensé. En attendant, elle reste besogneuse, et l’émigration allemande augmente tous les ans.

Le canal projeté permettrait aux bâtimens prussiens de passer d’une mer à l’autre par un chemin tout intérieur. Tant que le Danemark restera indépendant et commandera les passages étroits qui conduisent de la Baltique à la Mer du Nord, la Prusse sera obligée d’entretenir deux flottes, une dans chaque mer, et elle courra le danger de ne pouvoir les réunir. L’ouverture d’un canal à travers le Slesvig renverserait la question et la ferait tourner au détriment de l’ennemi. Celui-ci, contraint de diviser ses forces pour faire face à deux ports, serait exposé d’un côté ou de l’autre à l’attaque de toute la flotte prussienne qui serait concentrée à l’improviste par le canal intérieur. L’importance extrême de ce canal ne peut échapper à personne. Pourquoi la Prusse ne le met-elle pas au nombre de ses travaux les plus urgens ? Serait-ce parce que le canal deviendrait inutile, si elle achevait de s’annexer le Danemark, dont une partie a déjà passé entre ses mains ? La prussification des Belt et du Sund conviendrait sans doute à M. de Bismarck au moins autant que la possession des Dardanelles à la Russie ; mais cette puissance est profondément intéressée à l’indépendance du Danemark. S’il pouvait lui convenir de rester prise au fond de la Baltique comme dans une souricière, elle n’aurait qu’à livrer ce royaume à la convoitise de son puissant voisin.

Ce n’était pas assez d’avoir posé les bases d’une influence prépondérante dans la Baltique, le gouvernement de Berlin a cru devoir en outre se ménager un poste fortifié dans la Mer du Nord, en face de l’Angleterre, à côté d’Amsterdam, d’Anvers et près du Havre.