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calculait la force d’un vaisseau par le nombre de ses batteries : cent, cent vingt, cent trente canons, étaient accumulés sur un navire ; aujourd’hui la quantité des bouches à feu est beaucoup moindre, mais elle est compensée par le poids et la puissance des pièces. Ainsi le Kœnig-Wilhelm, portant vingt-trois canons seulement, aurait dans un combat d’artillerie facilement raison d’un vaisseau de ligne en bois, bien qu’armé de trois rangées de dents, comme on disait autrefois dans la marine. C’est que les canons du Kœnig-Wilhelm sont des pièces dites de 96, qui lancent des boulets de 145 kilogrammes. Le Kronprinz et le Friedrich-Karl portent des canons de 72, artillerie rayée des fonderies prussiennes qui envoie des projectiles de 200 livres. Les frégates cuirassées de la flotte de Prusse sont donc de véritables vaisseaux, de même que les corvettes cuirassées sont de vraies frégates.

Telles étaient les données générales du projet présenté par M. de Roon pour la régénération de la flotte. Le crédit de 187 millions fut accordé, sans préjudice des dépenses annuelles et ordinaires de la marine du moment, dont le total était de 12 millions, et comprenait 90 navires de rang inférieur, armés de 1,549 canons. Ce subside permit au gouvernement de continuer son œuvre, qui eût été promptement achevée, si la guerre de France ne l’avait interrompue en 1870. La marine française, en renouvelant le blocus des côtes allemandes, fit subir à l’ennemi une mortification nouvelle et infligea au commerce prussien des pertes sensibles. La leçon fut rude ; mais le gouvernement du nouvel empereur avait à peine besoin de sentir cet aiguillon. Il avait bien compris que l’aigle ne pouvait soutenir son vol avec sa seule armée de terre. Dépourvu de marine, il lui manquait une aile. L’opinion, l’orgueil, l’intérêt blessés, le poussaient a de nouveaux efforts. M. de Bismarck prit cette fois l’affaire en main et il intervint directement.

Dès le commencement de l’année 1872, un décret impérial créait un ministère spécial de la marine. Le général Stosch, général d’infanterie, fut placé à la tête de ce service : choix expliqué par la transformation même que la vapeur, l’hélice et les cuirasses ont imposée à toutes les marines du monde. Un grand navire de guerre n’est plus qu’une forteresse flottante. La manœuvre des voiles, la lutte avec le vent et l’ouragan sont à peu près supprimées, et par conséquent le nombre des marins à bord est devenu moins grand. On remplace les anciens matelots par des mécaniciens, des artilleurs et des soldats de terre. La Prusse y compte pour devenir une puissance maritime. Cette ambition, elle n’aurait pu raisonnablement la concevoir si l’ancienne marine à voiles était encore la marine de combat. À peine nommé, M. le général de Stosch, mauvais marin peut-être, mais très bon officier de terre, avait signalé son