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calibre et d’un poids énormes, est évidemment subordonné à la puissance de résistance des navires cuirassés. Le jour où les plaques de fer ne résisteraient pas à la critique, où les cuirassés céderaient peu à peu la place à des navires plus maniables, plus agiles, et moins gros consommateurs de charbon, les lourds canons de la marine actuelle seraient probablement remplacés par des batteries plus nombreuses, plus légères, insuffisantes pour percer des plaques de fer, suffisantes pour combattre des bâtimens ordinaires. Ceci n’est point une hypothèse, car déjà l’artillerie britannique marche vers une transformation radicale.

Ces canons Krupp, dont on a tant parlé et dont on a essayé vainement d’effrayer Paris, n’ont pas rempli l’attente de ceux qui trouvaient qu’on tardait trop à réduire notre ville en cendres. Un très grand nombre de ces pièces a éclaté, notamment sur le front sud-ouest de Paris, où, sur 70 pièces placées en batterie, 36 ont été mises hors de service par leur propre feu pendant les quinze jours du bombardement. Aussi depuis la guerre les Prussiens ont-ils entrepris la modification de toute leur artillerie de campagne ; mais, s’ils ont admis la nécessité de certains changemens, ils n’ont pas renoncé au système de chargement par la culasse, et c’est précisément l’objet de la réforme à opérer dans le matériel de l’artillerie anglaise. Dans les usines de la Grande-Bretagne, on travaille le fer avec une grande supériorité. On y est parvenu à forger des canons dont la résistance est en quelque sorte invincible : premier avantage des pièces anglaises en fer forgé sur les canons prussiens en acier. L’usine Krupp, qui jouit de la faveur impériale à Berlin et qui tient à honneur de s’en montrer digne, a essayé de nier cet avantage. On a écrit à Londres qu’aucun canon de cette usine n’avait éclaté pendant la guerre de 1870-1871 ; mais, dans la chambre des lords, le duc de Cambridge a fait connaître qu’à cette époque 210 canons de cette provenance avaient été mis hors de combat. Quelques-uns à peine ont été démontés par notre feu ; le reste n’a pu résister à un service actif. Profitant de cette expérience, confians dans l’excellence de leur fabrication, nos voisins d’outre-Manche ont écarté l’emploi de l’acier pour s’en tenir au fer forgé, et voici que dans les rangs de l’armée, du génie et de la marine surgissent des partisans du chargement de la grosse artillerie, et particulièrement de l’artillerie navale, par la bouche au lieu de la culasse. Le chargement par la culasse a l’avantage d’une justesse plus grande et d’une meilleure protection des servans par le fait de leur position en arrière du canon ; il a l’inconvénient d’augmenter le poids et la longueur de la pièce, deux défauts qui sont particulièrement sensibles à la mer, où la manœuvre des canons se fait dans un espace restreint, où toute économie sur le poids de l’armement profite à la