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patriotique. Ceux de la Prusse sont soumis à des institutions analogues ; mais ce n’est pas en un jour que des obligations si gênantes se font accepter sans résistance et passent en habitude. L’enfant qui grandit avec la pensée d’être appelé un jour à servir l’état dans la marine, et qui sait que son père et son grand-père ont subi la même loi, est fait d’avance à l’idée d’aliéner ainsi pendant un certain temps sa liberté. Quand vient l’heure de payer sa dette, il n’est pas étonné d’en voir arriver l’échéance, et il s’exécute parce qu’il en a prévu presqu’en naissant la nécessité. Quant à la population maritime de l’Allemagne, elle était, il y a quelques années, à peu près exonérée du service de l’état. Depuis qu’elle est prussifiée, on l’appelle toute entière, sans exception, à bord des bâtimens de guerre. Elle se trouve prise dans un filet dont les mailles ne laissent échapper personne, si ce n’est ceux qui s’y soustraient d’avance par l’expatriation. Qu’arrive-t-il ? C’est que la désertion est en ce moment la plaie de la marine prussienne. Elle aurait grand’peine, après la perte de quelques milliers de marins, au début d’une guerre, à reformer ses équipages. Peut-être, dans un avenir plus ou moins prochain, la Prusse obtiendra-t-elle, par les armes ou autrement, l’annexion de nouvelles populations maritimes : c’est le secret des dieux et du chancelier de l’empire ; peut-être parviendra-t-elle un jour à réhabiliter le service militaire parmi les matelots déjà annexés, — ceux par exemple du Hanovre et d’Oldenbourg, qui émigrent en masse ; — peut-être la haine de la France, qui devrait pourtant être assouvie, réconciliera-t-elle les marins de l’empire avec le service de guerre. Mais, si peu de temps qu’il faille consacrer à cette métamorphose, il en faut cependant, et la marine de Prusse n’a pas encore subi cette épreuve. L’activité extrême qu’on imprime aux travaux d’achèvement de la flotte prouve d’ailleurs que le gouvernement ne veut pas se donner le temps d’attendre. Avant d’avoir fini son œuvre, on annonce qu’il veut déjà prendre part, avec la marine britannique, à une croisière dans les mers de Chine pour y donner la chasse aux pirates. L’émigration a créé de grands intérêts d’origine allemande au-delà de l’Atlantique, aux États-Unis et au Brésil surtout, mais il n’appartient pas à la Prusse de les prendre sous sa tutelle. La plupart des émigrés ont adopté la nationalité de leur nouvelle patrie et renoncé à l’ancienne. Ils n’ont pas de protection à demander en Europe ; ils sont d’ailleurs assez nombreux pour se protéger eux-mêmes. L’émigration allemande compte aux États-Unis plus de 3 millions d’individus qui se sont massés et qui gagnent chaque jour du terrain, principalement dans les états de l’ouest. Les journaux allemands voient déjà l’Ohio, le Wisconsin, le Michigan, le Missouri, l’Illinois, l’Indiana et quelques autres, érigés en états confédérés indépendans, sous l’influence et le