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bédouins, les trois corps francs les plus considérables composés de volontaires. Leur nombre, en cas de guerre, est toujours très élevé, l’appât du butin les attire, à défaut de la paie, devenue hasardeuse et hypothétique. Lors de la dernière guerre contre les Russes, l’ensemble de ces volontaires s’élevait à 8,000 pour l’infanterie, et à 16,000 pour la cavalerie. Les spahis sont volontaires aussi, ils forment un corps aristocratique, car il ne se recrute que parmi les anciennes familles de noblesse mahométane de la Bosnie, de la Croatie turque et de la Bulgarie. Il est juste de dire que, dans les circonstances actuelles, nombre de Bosniaques musulmans sans ressources prennent du service dans les rangs de ces volontaires, et ce ne sont pas ceux qui ont l’aspect le moins pittoresque.

Les spahis et les bachi-bozouks sont tout à fait incapables de discipline ; leurs officiers n’ont aucune des connaissances requises pour lutter dans une bataille rangée contre une armée disciplinée : aussi ne les emploie-t-on que dans la guerre de montagne, là où l’initiative individuelle a plus de prix que la subordination à la volonté d’un chef. Ils sont extrêmement fanatiques, combattent pour eux-mêmes et s’inquiètent fort peu des mouvemens d’ensemble. Je crois impossible, même pour un Ottoman, de reconnaître, dans ce ramassis d’hommes de toutes les régions, celle à laquelle appartient chacun des types qui passent devant nos yeux. Voici par exemple un grand diable bronzé, long, mince, maigre et nerveux, aux attaches fines et élégantes comme celles d’une statue antique, qui arpente la route à pied, chaussé simplement d’une babouche plate, le mollet serré dans une courte jambière en maroquin comme celle de nos zouaves, la fine culotte de toile à brayettes moulant les cuisses comme un maillot de danseur : des écharpes de toutes les couleurs partant du dessous des hanches s’enroulent autour de son corps jusqu’aux aisselles ; le vêtement principal consiste en un gilet vert à boutons de filigranes dont les manches, ouvertes comme celles d’un pourpoint moyen âge, retombent presque jusqu’aux genoux et, en se balançant dans la marche, laissent les bras complètement nus. L’arme principale, le handjar, passé à la ceinture à côté des pistolets à crosse d’argent, est si long qu’il coupe le corps en deux par une ligne oblique et dépasse les deux côtés de la poitrine. La coiffure est un haut bonnet rouge posé de côté, qui emboîte le crâne jusqu’à la nuque et ne laisse libre que le visage ; tout autour s’enroule un châle soyeux dont les longues franges retombent sur le côté. Tel qu’il est, avec son petit fusil court et carré, trabuco ou tromblon archaïque joliment incrusté de nacre, de coraux et de cabochons, et pendu en bandoulière à l’épaule, ce bachi-bozouk rappelle les Recruteurs de Smyrne, que Raffet a rendus célèbres par ses dessins. À côté de lui marche un fantassin circassien qui fait un vif