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posés sur le sol, qu’on a creusé pour faire un foyer, sans même laisser d’issue pour la fumée, remuent à l’aide de grandes pelles un breuvage où surnagent les grains de riz.

J’ai eu beaucoup de peine à visiter, le long de la Verbaz, les grandes casernes de cavalerie qui semblent être un dépôt permanent ; pendant les dix premiers jours, les officiers ont constamment éludé mes ouvertures à ce sujet. Les Turcs sont pleins de réticences pour tout ce qui concerne l’artillerie et la cavalerie. On m’a dit depuis que les cavaliers, lorsqu’ils voient un étranger et surtout un chrétien pénétrer dans leurs écuries, s’imaginent qu’on peut jeter un sort à leurs chevaux, et en effet un grand nombre de ceux que j’ai vus en marche laissent pendre à la bride et sur le poitrail de leurs montures de nombreuses amulettes.

Ces casernes de Bajnaluka sont énormes et peuvent constituer un des grands dépôts de la cavalerie ottomane ; c’est d’ailleurs la région dans laquelle elle peut le mieux opérer, car les autres parties de ces provinces sont très montagneuses et offrent bien peu de ressources pour l’emploi de cette arme. L’ensemble des forces de cavalerie régulière se monte à vingt-cinq régimens qui ne dépassent pas le nombre de 20,000 hommes divisés en dragons, spahis, lanciers et cosaques. Le régiment comporte six escadrons armés de la carabine à répétition du système Winchester. C’est, dit-on, la plus faible partie de l’armée ; ses services, absolument nuls en temps de paix, sont très limités en temps de guerre. Au lieu de laisser au cavalier ottoman l’ancienne selle turque avec ses larges étriers et son large siège, on a calqué le harnachement européen, et le soldat, mis au régime de la selle anglaise, roule sur sa monture et semble embarrassé de ses jambes, qui s’appuient mal sur les longs étriers. Le cavalier est mal habile, malgré le préjugé contraire, et quelques officiers seuls ont l’habitude du cheval.

Au point de vue des aptitudes, il faut cependant faire une exception en faveur des deux régimens de cosaques des frontières russes ; leur uniforme rappelle celui des cosaques du Don ; comme eux, ils sont armés de la lance, et leurs officiers sont des cavaliers consommés ; ces deux régimens comptent dans leurs rangs beaucoup de déserteurs des armées étrangères et un grand nombre de Hongrois. Les officiers, pour la plupart, sont des Slaves du nord, Polonais et Ruthènes, on compte même quelques Russes parmi eux ; presque tous les officiers ont embrassé l’islamisme, et quelques-uns ont quitté les armées à la suite de graves infractions à la discipline. Autrefois tous les étrangers, largement payés et jouissant d’une indépendance relative, recherchaient beaucoup l’admission dans ces régimens ; mais depuis qu’on a introduit les règlemens européens et que le mauvais état des finances rend la paie