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hypothétique, la carrière est sans avenir, et ces soldats d’aventure, dont quelques-uns sont d’une bravoure à toute, épreuve, ont abandonné les rangs. Déjà au moment de la guerre d’Amérique un très grand nombre ont quitté le service des Turcs pour s’engager dans l’armée des deux confédérations. On m’assure qu’à la suite de l’expédition du Caucase, qui s’est terminée par la capture de Schamyl, un grand nombre de montagnards qui avaient émigré en Turquie y ont formé une légion de Tcherkess.

Les chevaux que nous avons sous les yeux appartiennent aux régimens de dragons, ils sont tous de race orientale, assez petits de taille, très nerveux, à tous crins, propres au service de la montagne, mais incapables de faire masse et de défoncer un carré ; ils manquent de poids, et pas plus le cheval que l’homme, coiffé du fez, vêtu de la tunique et armé du sabre recourbé, ne semblent propres à remplir l’office de la grosse cavalerie. La remonte des chevaux se fait rarement en Turquie ; les fonds destinés à cet usage sont dilapidés, et il n’est pas rare de voir des chevaux au-dessus de l’âge de vingt ans continuer leur service.

La cavalerie irrégulière, dans une campagne comme celle-ci, est apte à rendre de meilleurs services ; elle comprend les gendarmes ou zaptiés, les bachi-bozouks, les spahis et les Bédouins. L’ensemble de ces forces, très variable à cause des nombreux engagemens qui se contractent en temps de guerre, peut monter alors à 15,000 ou 16,000 hommes.

Sans parler du parasol sous lequel on abrite chaque pièce en batterie au front de bandière, les précautions prises dans le camp pour empêcher d’approcher des canons sont presque puériles. Ces parasols, qui ne résisteraient pas à un vent d’orage, ne préservent même pas la lumière, car la pluie en fouettant passe sous le champ qu’ils recouvrent. C’est peut-être, avec les cuisines et la tente des secrétaires, un des seuls côtés par lesquels le camp turc se distingue d’un camp européen, et la ligne perspective de ces canons en batterie surmontés de leurs tentes ornées d’une grecque rouge, avec un artilleur au pied de chaque pièce, offre un coup d’œil assez caractéristique. La Porte a fait de grands sacrifices pour constituer son artillerie ; elle a formé six régimens de campagne dont l’effectif en temps de guerre est de 7,500 à 8,000 hommes, et l’ensemble des batteries comprend 540 pièces de 7, de 8 et de 9 centimètres, se chargeant par la culasse ; un très grand nombre sont du système Krupp, la plupart des autres sont de provenance anglaise. On compte aussi plusieurs batteries de mitrailleuses du système Gatling.

La supériorité des artilleurs turcs est établie, elle se révèle surtout dans la défense des forteresses, et la Porte compte dans son histoire nombre de défenses célèbres. Elle a disséminé 5,000 ou