Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces comités, ce congrès, ces commissions d’anges et d’archanges en font foi. L’église jouit en France d’une liberté d’association et d’action qui lui est propre ; elle en a le monopole, c’est un privilège que personne ne songe à lui disputer. Elle ne laisse pas de se plaindre, car il est doux d’être plaint, et lorsqu’on a d’excellentes raisons de se louer de son sort, il est habile de mettre un crêpe à son bonheur, cela ferme la bouche aux envieux. D’ailleurs, si fortuné qu’on soit, possède-t-on jamais tout ce qu’on désire ? On rêvait de faire des docteurs, et Dioclétien vient de rédiger un projet de loi portant que les élèves des facultés libres s’adresseront aux facultés de l’état pour obtenir leurs grades. Le puits de l’abîme s’est ouvert, la bête de l’Apocalypse en est sortie, il ne reste plus qu’à tendre la gorge et à mourir.

Il est difficile au libéralisme de demeurer toujours conséquent avec lui-même et avec ses principes dans les questions d’église. Il ne peut voir sans inquiétude les envahissemens d’un certain parti religieux qui a l’esprit de domination et se déclare lésé, quoi qu’on lui accorde. Ce parti a une singulière façon de raisonner, il dit à ses adversaires : « Nous sommes la vérité, et vous êtes l’erreur ; partant, vous nous devez tout, et nous ne vous devons rien. En nous accordant la liberté, vous ne faites que votre devoir, et, quand nous serons devenus les plus forts, nous ferons également le nôtre en vous la refusant. Voyez plutôt ce qui se passe en Espagne, nous n’admettons pas qu’on y tolère les hérétiques. Si le ministère espagnol réussit à faire voter par les cortès l’article 11 de son projet de constitution, s’il s’obstine à donner aux protestans le droit de célébrer leur culte en lieu clos, le nonce du pape quittera Madrid, et Rome rompra tout commerce avec le roi Alphonse. Pour être libres, il faut que nous soyons les maîtres, et César nous opprime lorsqu’il refuse de nous obéir. » Le parti clérical met les gouvernemens libéraux à une rude épreuve ; ses exigences croissent avec les concessions qui lui sont faites, et il paie tous les bienfaits de la plus noire ingratitude. Cependant le libéralisme se doit à lui-même de ne jamais se démentir ; le libéralisme est une vertu, et il en coûte toujours d’être vertueux. Il se trouve au surplus que la vertu est souvent récompensée dans ce monde. Tolérer les intolérans, respecter la liberté des ennemis mêmes de la liberté n’est pas seulement le procédé le plus honnête, la conduite la plus honorable, c’est encore le parti le plus sûr et le meilleur moyen d’éviter les embarras.

On accuse le clergé d’avoir déployé un zèle imprudent et aventureux dans les dernières élections, et il est certain que dans plus d’un arrondissement il a eu ses candidats officiels. L’événement a trompé ses espérances. On ne peut s’étonner qu’un grand nombre de députés républicains, dont il avait combattu la candidature, soient arrivés à Versailles encore échauffés de la lutte, émus des injures qu’on leur avait dites et