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prétention de connaître les volontés divines mieux que tout le monde et qui, sur la foi de cette prétention, s’arrogeaient le droit de dominer les hommes. » Il est à noter que, dans cette rivalité séculaire entre Calchas et Agamemnon, le monde a tour à tour donné raison à l’un et à l’autre. Quand Calchas devient trop riche, trop insolent, trop intrigant ou trop factieux, quand il entreprend sur les droits de l’état, c’est avec l’applaudissement universel qu’Agamemnon lui fait sentir la pesanteur de son bras ; mais lorsque Agamemnon se mêle de ce qui ne le regarde pas, lorsqu’il dicte à Calchas des articles de foi et lui prescrit ce qu’il doit enseigner aux peuples, les peuples prennent parti contre Agamemnon. On a vu plus d’une fois l’église devenir si riche et si puissante qu’elle formait comme un état dans l’état, et les gouvernemens se sont bien trouvés de confisquer ses dîmes, de séculariser ses biens et de lui ôter les moyens d’en acquérir de nouveaux. On a vu aussi des républiques et des rois fermer des couvens, supprimer des congrégations qui foisonnaient et pullulaient en trop grande abondance ; ces mesures rigoureuses ont été approuvées par l’opinion publique ; elle reconnaît à l’état un droit de contrôle sur les associations et l’autorise à supprimer celles qui mettent en péril les lois et la société, comme un propriétaire nettoie son jardin, en retranchant l’ivraie et les folles herbes. En revanche, il est peu de gouvernemens qui se soient bien trouvés d’avoir attenté à la liberté doctrinale de l’église, et le métier d’oppresseur de consciences n’est pas de ceux qui portent bonheur.

L’état a deux moyens de contraindre l’église à enseigner ce qu’il désire qu’elle enseigne. Il peut la mettre sous tutelle, lui imposer une organisation, une discipline, un régime à sa convenance, ou ce qu’on nomme une constitution civile, et l’on sait combien sont éphémères les constitutions civiles et le triste souvenir qu’elles laissent après elles. Il peut aussi se charger de faire lui-même l’éducation des prêtres. Joseph II l’a tenté ; son essai ne fut pas heureux. Ce prince ne connaissait guère les hommes, il ignorait l’empire qu’exercent sur eux les traditions et les habitudes et combien certains abus leur sont chers. Il se piquait de rendre son clergé parfaitement raisonnable, et ce fut là sans contredit la plus déraisonnable de ses prétentions. Il entreprit de tout régler, jusqu’à la figure qu’on devait donner aux images des saints ; il prit des mesures somptuaires contre les madones, leur défendit de porter sur elles plus de bijoux qu’il ne convient à une honnête mère de famille. Après avoir interdit nombre de processions et de pèlerinages, il abolit la faculté théologique de Louvain et les séminaires épiscopaux, qu’il remplaça par deux séminaires d’état dont il nommait les directeurs. Qu’y gagna-t-il ? De perdre les Pays-Bas, et peu de temps avant sa mort, il engageait ses proches à graver sur sa tombe cette mélancolique inscription : « ci-gît un prince dont toutes les intentions étaient pures et