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qu’une loi qu’il ne peut faire exécuter ? » Voilà de sages paroles, elles méritent d’être prises en considération. Qui se flatterait de réussir où M. de Bismarck a échoué ?

Frédéric II, qu’on ne se lasse pas de citer en pareille matière, souhaitait un jour que les philosophes fussent toujours aussi pacifiques qu’ils font profession de l’être, et il ajoutait : « Toutes les vérités ensemble qu’ils annoncent ne valent pas le repos de l’âme, seul bien dont les hommes puissent jouir sur l’atome qu’ils habitent. Pour moi, qui suis un raisonneur sans enthousiasme, je désirerais que les hommes fussent raisonnables et surtout qu’ils fussent tranquilles. Nous connaissons les crimes que le fanatisme de religion a fait commettre ; gardons-nous d’introduire le fanatisme dans la philosophie. » Il disait encore : « Vivons et laissons vivre les autres. » Cette devise est bonne à retenir. Vivons et laissons vivre les hommes et les idées qui nous sont désagréables. La séparation de l’église et de l’état est, assure-t-on, un idéal chimérique, une utopie. Soit ; mais tout ce qui nous rapproche de cet idéal est bon, tout ce qui nous en éloigne est mauvais. L’état ne saurait être trop attentif à mettre ses droits hors d’insulte, à défendre la société civile et les idées modernes contre toute ingérence indiscrète ou malfaisante. Qu’il fasse son devoir, et qu’il se désintéresse de plus en plus des questions qui ne le concernent point. Il sera toujours un mauvais théologien, et, qui pis est, un théologien sans conviction. Quand il se fait professeur de dogme, il lui arrive comme à ce jésuite missionnaire qui avait perdu la foi et ne laissait pas de se donner beaucoup de peine pour convertir les sauvages. Un ami lui représentait l’inconséquence de son zèle : « Ah ! répondit le jésuite, vous n’avez pas d’idée du plaisir qu’on goûte à persuader aux hommes ce qu’on ne croit pas soi-même. » Il n’est pas à présumer que cet étrange missionnaire fît beaucoup de prosélytes ; la première condition pour persuader, c’est de croire, et y a-t-il aujourd’hui en Europe un seul gouvernement prêt à jurer sur sa tête qu’un concile œcuménique est plus infaillible qu’un pape ?

Assurément ceux qui ont promulgué le nouveau dogme avaient des intentions dont il est permis de se défier. Ils ont moins consulté le besoin des consciences que les intérêts de leur politique. En proclamant l’infaillibilité du saint-siège, ils ont voulu attribuer le caractère d’articles de foi aux déclarations contenues dans l’Encyclique et aux condamnations renfermées dans le Syllabus, et nous obliger de croire que le pape était inspiré d’en haut quand il amis à l’interdit tous les principes sur lesquels repose la société moderne. Nous vivons dans un siècle où les anathèmes ne sont guère pris au sérieux. Les demi-croyans n’en tiennent aucun compte, et les croyans eux-mêmes se réservent le droit de les interpréter. C’est à l’application qu’il faut attendre les doctrines. Tant qu’un dogme n’a commis aucun délit, tant qu’il est encore dans