Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forte et d’une volonté plus tenace que le flegmatique Yankee, dont son biographe demande à si juste titre que la mémoire soit consacrée par un monument dans l’Amérique du Sud. Celui qui écrit ces lignes a connu, déjà avancé en âge, et conservant encore une activité sans pareille, cet homme simple et grave, infatigable au travail, réglé dans sa vie, d’une probité irréprochable, chez qui l’esprit le plus pratique s’alliait merveilleusement avec les entreprises les plus larges, et c’est pour lui un bonheur inespéré de rendre cet hommage à M. Wheelwright. Quant au livre de M. Alberdi, nous n’avons plus qu’à en dire un mot. Tout naturellement et sans sortir de son sujet, l’auteur de cette instructive étude, sagace et attentif observateur des événemens dans l’Amérique du Sud, a pu y révéler quelques-unes des causes de la déplorable crise financière et commerciale à laquelle est venue aboutir la prospérité trop vantée des républiques de la Plata[1], si peu de temps après cette guerre du Paraguay, en apparence si heureuse, mais qui au point de vue de la civilisation, de l’humanité, de l’intérêt politique des états limitrophes hispano-américains, sera peut-être autrement jugée par l’histoire que par les passions contemporaines. Ce livre se recommande aussi par des considérations du libéralisme le plus élevé sur l’immigration étrangère dans l’Amérique du Sud et sur la protection qui lui est due, et on y remarquera des jugemens aussi vrais que hardis sur les erreurs, les faiblesses, la corruption administrative, le gaspillage financier, la fausse liberté de la plupart de ces nouvelles républiques, excepté le Chili jusqu’à ce jour, qui méritent toute l’attention des esprits sérieux.


L. B.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.

  1. M. Alberdi ne fait que mentionner dans son livre une rencontre qui eut lieu chez lui a Londres entre le général Rosas, qui vit obscurément en Angleterre depuis 1852, et M. Wheelwright, qui eut peu à parler et n’eut presque qu’à écouter. Il est à regretter que sans doute par égard pour les lois de l’hospitalité, M. Alberdi n’ait rien dit du langage tenu en cette circonstance par l’ancien gouverneur de Buenos-Ayres. On aimerait à savoir comment après plus de vingt ans de séjour en pleine civilisation du vieux monde, celui que M. Alberdi appelle avec raison le représentant naïf de l’américanisme espagnol à outrance, juge les hommes et les choses du pays qu’il a si rudement mené, sans autre institution que lui-même, et avec des procédés si différens de ceux qu’on y applique aujourd’hui, mais au fond par et pour la suprématie de l’ancienne capitale de la vice-royauté sous le masque de la fédération, qu’il ne laissait jamais organiser, suprématie qui était en réalité la pensée dominante du dictateur argentin.