Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meilleur emploi pourrions-nous donner à cette vieillesse que de faire revivre les hommes qui ne sont plus, en appliquant à les bien comprendre ce que, pour emprunter l’expression du vieux Frédégaire, il peut nous rester de sagacité ?


I

Michelet est un enfant de Paris, souvent il s’en faisait gloire ; mais il était par ses parens d’origine campagnarde. Son père et sa mère appartenaient l’un et l’autre à ces vigoureuses familles de paysans qui par leur industrie, leur ardeur au travail, formaient à la fin du dernier siècle une des forces cachées de la France. Le grand-père paternel de Michelet était Picard d’origine. Il n’eut pas moins de douze enfans, dont plusieurs renoncèrent à se marier afin de favoriser d’abord l’éducation, puis l’établissement du père de Michelet. Ce fils privilégié, après avoir été employé pendant la révolution à l’imprimerie des assignats, acheta, en joignant l’épargne de ses parens à la sienne, un fonds d’imprimerie qu’il se mit en mesure d’exploiter à Paris. Ce fut à cette époque qu’il connut et épousa la mère de Michelet. Comme tous les hommes qui ont ou se croient du génie, Michelet aimait de préférence à se rattacher à sa mère. « Je suis, disait-il, le fils de la femme. » Elle était originaire des Ardennes, pays sévère dont l’aspect et le caractère ont été maintes fois décrits par Michelet, « où les petits chênes forment un humble océan végétal dont vous apercevez de temps à autre, du sommet de quelque colline, les monotones ondulations,… où l’habitant est sérieux et l’esprit critique domine, comme c’est l’ordinaire chez les gens qui sentent qu’ils valent mieux que leur fortune. » Dans cette famille, qui se composait de dix-huit enfans, les sœurs avaient également l’habitude de sacrifier leur avenir à celui de leurs frères. Sans balancer, elles renonçaient à leur dot et s’enterraient au village. « Plusieurs cependant, ajoute Michelet, sans culture et dans cette solitude, sur la lisière des bois, n’en avaient pas moins une très fine fleur d’esprit. » Une d’elles entre autres avait gardé la mémoire fidèle des guerres fréquentes dont ce pays des Ardennes a été le théâtre, et ses récits bercèrent maintes fois l’enfance rêveuse de l’historien.

Michelet naquit de cette union entre un « colérique Picard et une sérieuse Ardennaise, » entre un petit imprimeur et une paysanne. Ce fut à travers les vitraux d’une église que les rayons du soleil vinrent pour la première fois frapper ses regards. Au milieu des jours troublés de la terreur, le père de Michelet s’était réfugié dans une chapelle de religieuses et y avait établi son imprimerie. Michelet