Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loin dans l’obscur ; mais par-dessus s’élève la forme fantastique des Pyrénées aux têtes d’argent… Le bœuf attelé par les cornes laboure la fertile vallée. La vigne monte à l’orme. La chèvre est suspendue au coteau aride, et le mulet, sous sa charge d’huile, suit à mi-côte le petit sentier. » Je voudrais aussi l’accompagner dans ses courses au travers de la Provence, pays aux destinées incomplètes, « dont la végétation africaine, est bientôt bornée par le vent glacial des Alpes. Le Rhône court à la mer et n’y arrive pas. Les pâturages font place aux sèches collines, parées tristement de myrte et de lavande, parfumées et stériles. » Mais le voyage serait trop long, d’autant que, pour l’accompagner jusqu’au bout, il faudrait frayer avec lui sa route vers le nord, aux sapins du Jura, aux chênes des Vosges et des Ardennes, pour redescendre vers les plaines décolorées de la Champagne et du Berry. Qu’il me suffise de dire que Michelet n’avait pas tiré de son imagination ou des livres les couleurs de ce brillant tableau. Il avait accompli lui-même ce pèlerinage aux lieux témoins des principaux événemens de notre histoire, et il avait consacré à ce voyage les loisirs annuels que lui créaient les vacances de l’enseignement. Ce temps n’était cependant pas perdu pour l’enseignement lui-même, et une de ses élèves avait le privilège d’en partager avec lui le profit. La révolution de 1830 avait enlevé à Michelet sa royale écolière, la future duchesse de Parme ; mais il conserva cette même qualité de professeur d’histoire auprès de l’une des filles du nouveau souverain, la princesse Clémentine d’Orléans, aujourd’hui duchesse de Saxe-Cobourg. Pendant l’intervalle forcé que mettaient entre les leçons les voyages du maître, celui-ci continuait par lettres son enseignement, mêlant le récit des principaux événemens de notre histoire à la description des lieux où ces événemens s’étaient passés. Ces lettres étaient dignes, on a bien voulu m’en faire parvenir l’assurance, du talent de celui qui les écrivait, et j’ajoute de la haute intelligence de celle à laquelle elles étaient adressées. Malheureusement le pillage des Tuileries en 1848 les a fait disparaître, et nos discordes civiles ont ainsi privé l’avenir de documens précieux dont la communication bienveillante n’aurait peut-être pas été refusée aux amis de Michelet.

Pour la préparation de ces deux volumes et des quatre suivans, dont la publication s’échelonne dans un espace de dix années, Michelet avait eu à sa disposition une mine de documens moins complètement inexplorée qu’il ne se plaisait peut-être à le dire, mais riche et inépuisable. Il avait été nommé en 1831 chef de la division historique aux Archives nationales. Lorsqu’il pénétra pour la première fois dans ces salles, où les manuscrits et les lettres dorment dans leur poussière, il dut sentir se réveiller l’impression qu’il avait