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Collège de France la chaire d’histoire et de morale. Le succès de ses premiers cours fut grand et ne tarda pas à réunir un public animé dont les étudians ne formaient pas la majeure partie. A des qualités essentielles, l’amour des jeunes gens, la confiance en leur bienveillance, ce que lui-même appelait « la foi dans l’ami inconnu, » Michelet joignait cependant, par une contradiction singulière, les défauts les plus contraires à l’idéal du professeur : d’abord la difficulté de la parole. A cet écrivain abondant et plutôt prolixe, les mots en parlant venaient rares et pénibles. Ils ne répondaient pas avec docilité à l’appel de la pensée. L’expression se faisait longtemps attendre. Elle arrivait cependant, souvent juste et brillante ; mais la lenteur qu’imprimait à sa diction cette lutte entre la parole et la pensée rendait plus étranges encore par le contraste les écarts de son enseignement. Ce qui manquait en effet par-dessus tout à Michelet, c’était le respect de sa chaire. Sous prétexte de morale et d’histoire, tout sujet lui était bon. Parfois il tirait le sujet de sa leçon du jour d’un événement futile qui avait attiré son attention, d’un fait insignifiant dont il avait été témoin en se rendant à son cours. « L’enfant est né, s’écriait-il un jour avec solennité ; la femme le nourrit, elle fait cuire sa bouillie… C’est ici le mystère, la chose superbe… Voyez-la ; elle prend du bout du doigt la bouillie nourrissante et la met sur la langue de son enfant. Il y a dans cet acte une révélation profonde. »

Toutes ces leçons n’étaient cependant point sur ce ton ridicule. J’ai tenu entre mes mains les notes prises à quelques-uns de ses cours par un élève destiné à devenir lui-même un maître, M. Gaston Boissier. Rien ne m’a fait mieux comprendre l’action qu’a exercée l’enseignement de Michelet. L’abondance des idées, l’éclat de la forme, la diversité des sujets, devaient être un grand attrait pour des jeunes gens auxquels on ne saurait demander de donner à leurs professeurs des leçons de goût et de sobriété. L’attention publique se tournait alors avec curiosité vers le Collège de France, où Michelet n’était pas seul à attirer la foule. A côté de lui, Edgar Quinet enseignait l’histoire des littératures du midi de l’Europe. On venait de créer la chaire de langue et de littérature slaves pour Miçkiewicz, le poète polonais, l’auteur des Pèlerins. L’éloquence chaleureuse de Quinet (bien supérieur à Michelet comme professeur), celle tourmentée mais puissante de Miçkiewicz, dont on disait : il cherche le mot, mais il le trouve toujours, — celle enfin, bizarre, incohérente, riche en idées et en images, de Michelet, attiraient au pied de leurs chaires un auditoire remuant. « Ces trois professeurs se croyaient appelés, dit avec justesse M. Monod, à une sorte d’apostolat philosophique et social. » Ce qui était plus grave, c’est que la jeunesse le croyait aussi ; mais