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l’homme libre qui touchait au-dessus du coude le bras d’une femme libre lui payait à titre de dommages et intérêts 1,200 deniers, et 1,800 quand il touchait les seins, soit 3,700 francs de notre monnaie.

De même que les Gaulois, les Francs se trouvèrent pris dans les filets de la civilisation romaine. Les Mérovingiens, comme s’ils avaient ramassé le despotisme dans les dépouilles du champ de bataille, firent revivre les formules de la servilité impériale : votre éminence, votre excellence, votre majesté ; ils se couvrirent de vêtemens magnifiques, et les courtisans, qu’on appelait alors des antrustions, s’empressèrent de les imiter. Saint Eloi, tout saint qu’il fût, se mettait à la mode, pour ne point se faire remarquer, dit saint Guen, son biographe. « Ses vêtemens n’étaient qu’un tissu d’or et de pierreries qui jetaient le plus vif éclat. » Les rois avaient selon toute apparence adopté la tunique, la chlamyde et les ornemens des consuls et des empereurs. Quelques-uns portaient la couronne radiale, d’autres le bandeau à double rang de perles ; mais ce n’était pas la couronne ou le bandeau qui symbolisaient leur puissance royale : c’était la chevelure flottant librement sur leurs épaules. Quelle était l’origine de ce symbolisme et pourquoi les Mérovingiens plaçaient-ils le principe de la légitimité dans les cheveux ? C’est là une question que les érudits modernes ont étudiée, comme tant d’autres, sans la résoudre[1]. Ce qui est certain, c’est que les cheveux jouaient un grand rôle dans la société franque ; ils étaient l’emblème de la force et de la liberté, le signe distinctif des leudes, qui les portaient longs, des serfs qui les portaient courts. Ceux qui embrassaient l’état monastique se rasaient la tête pour témoigner qu’ils étaient les serfs de Dieu ; c’est là l’origine de la tonsure ecclésiastique.

A l’avènement de la seconde race, les rois abandonnèrent la

  1. Les portraits des rois mérovingiens qui figurent dans les livres modernes sont tous apocryphes. Ils ont été faits d’après les statues qui décorent le portail de Notre-Dame de Paris et de quelques autres églises de la même époque. Ces statues ne sont autres que celles des rois de Juda, qu’on a pris longtemps pour des rois de la dynastie de Clovis. Montfaucon lui-même s’y est trompé. Il a commis la même erreur pour les effigies des tombeaux de Frédégonde et de Clotaire, qui ne remontent pas au-delà du XIIIe siècle, époque à laquelle ils ont été refaits à neuf. Les sculpteurs et les peintres, lorsqu’ils reproduisent des monumens figurés du moyen âge, doivent toujours se rappeler que les artistes de ce temps n’ont jamais représenté que ce qu’ils avaient sous les yeux. Qu’il peigne des Hébreux, des Romains ou des Français, l’imagier du XIIe siècle, comme celui du XVIe, ne reproduit que ce qu’il voit. Dans le cortège funèbre de César, il nous montre des enfans de chœur portant de l’eau bénite et des croix. Hercule épouse Déjanire devant l’autel d’une chapelle catholique. David met des lunettes pour écrire les psaumes, et le patriarche Abraham, dans la scène du sacrifice, ajuste son fils avec un fusil à mèche. Il faut chercher dans les manuscrits à miniatures la vérité historique non point par rapport au temps auquel ils se rattachent, mais par rapport à celui où ils ont été exécutés, et c’est faute d’avoir fait cette distinction que des peintres contemporains ont commis dans leurs tableaux de si choquans anachronismes.