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longue chevelure, sans doute pour échapper au danger de la dégradation par les ciseaux et le rasoir, qui avaient réduit quelques-uns de leurs prédécesseurs à la condition de moines ; ils abandonnèrent aussi en partie, comme leurs sujets, le costume des premiers temps de la conquête, et l’on a peine à reconnaître les descendans des compagnons de Clovis dans les leudes carlovingiens. Ceux-ci portent une double tunique, un manteau blanc ou bleu, des bas recouverts de bandelettes, des brodequins de cuir doré, des cannes à pomme d’or ou d’argent enrichie de belles ciselures, comme les marquis du XVIIIe siècle. Les femmes ont une ceinture, un voile brodé qui descend jusqu’à terre. Les nudités germaines ont disparu, les plis des vêtemens romains, qui suivaient toutes les ondulations des formes, ont disparu comme elles. On sent que le christianisme a passé là, et qu’il a enveloppé la femme dans sa pudeur[1].

Le luxe était poussé dans les hautes classes aussi loin que pouvait le permettre l’imperfection des arts mécaniques. Les habits se vendaient tout faits, comme dans nos magasins de confection, et coûtaient fort cher. Vers 840, un sayon double valait 880 francs ; un rochet fourré 840 francs, s’il était de martre ou de loutre, 420 s’il était en peau de chat. Charlemagne, qui affichait, sauf les jours de représentation officielle, une simplicité très grande, dépensait pour sa toilette beaucoup moins que la plupart de ses sujets. Sa pelisse en peau de mouton ne valait que 28 francs. Il ne laissait jamais échapper l’occasion d’adresser de sévères avis à ceux qui se paraient d’habits surchargés de plumes d’oiseaux entourées de soie, de franges en écorce de cèdre, de fourrures de loir ou de taupe. Quand ils se présentaient devant lui avec ces colifichets indignes des gens de guerre, il leur disait : « O toi, homme tout d’or ! ô toi, homme tout d’argent ! ô toi, homme tout d’écarlate ! pauvre imbécile ! ne te suffit-il pas dépérir seul par le sort des batailles ? Ces richesses, dont il eût mieux valu racheter ton âme, veux-tu les livrer aux ennemis pour qu’ils en parent leurs idoles ? »

L’ameublement répondait aux habits. Les appartemens étaient garnis de bancs recouverts de coussins sur lesquels on s’asseyait plusieurs à la fois comme sur nos divans modernes, de fauteuils, de tapis de pied, de riches tentures, de tables en bois précieux, dont l’ornementation rappelait les tables romaines. Charlemagne en possédait trois en argent massif et une en or, toutes d’une dimension

  1. La mosaïque de Saint-Jean de Latran et divers manuscrits carlovingiens nous ont conservé, en petite et en grande tenue, les portraits en pied de Charlemagne, de Lothaire et de Charles le Chauve. On en trouvera la reproduction dans le livre de M. Quicherat, les Arts somptuaires, et les histoires de France illustrées qui ont paru dans ces derniers temps.