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et d’un poids considérables, sur lesquelles étaient figurés Rome, Constantinople et l’univers, c’est-à-dire le globe terrestre et les constellations ; d’autres meubles plus précieux encore, ces meubles de l’esprit qu’on appelle des livres, ornaient ses palais. Il avait établi dans les principaux monastères des ateliers de copistes et de peintres, auxquels il confiait le soin de transcrire les chefs-d’œuvre de l’antiquité ou les textes de l’Écriture sainte et de les décorer de peintures « pour instruire les ignorans par des images sensibles comme le livre instruit les savans par les lettres. » Quelques-unes de ces peintures sont parvenues jusqu’à nous, et quand on les examine avec soin, on reconnaît qu’elles ont été exécutées sous des influences très diverses. On retrouve en effet dans les unes l’inspiration byzantine, la manière vigoureuse de peindre la gouache qui distinguait les artistes du bas-empire, dans les autres le type anglo-saxon importé par Alcuin, dans d’autres encore le type franco-romain. Ces beaux manuscrits en lettres d’or ou d’argent sur vélin pourpre sont recouverts de diptyques d’ivoire, de cristal de roche, de riches étoffes brodées. On en compte aujourd’hui dans toute l’Europe huit du temps même de Charlemagne, et la sollicitude avec laquelle on veille sur la conservation de ces manuscrits est un hommage rendu par la postérité à la renaissance carlovingienne, qui fut comme la première aurore de la civilisation moderne.


IIII

Au moment où l’assemblée de Senlis décerna la couronne à Hugues Capet, la fusion des races juxtaposées sur le sol de la Gaule était un fait accompli. Les Gallo-Romains et les Francs vont s’appeler désormais d’un seul et même nom, les Français. L’homme libre, le grand bénéficier, l’antrustion, deviennent le baron féodal ; les roturiers s’élèvent à la liberté par le mouvement communal, et par la liberté au bien-être et à la richesse. La chevalerie s’organise comme une sorte de confrérie de courage, de galanterie et d’honneur. Les femmes, à qui les théologiens refusaient une âme, et que les plus anciennes chansons de geste nous montrent, suivant la juste remarque de M. Quicherat, injuriées, souffletées, traînées aux cheveux, menacées du bâton et de l’épée, deviennent tout à coup l’objet d’une adoration universelle. Elles transforment la brutalité féodale en servage d’amour[1], et, comme les rois, elles ont leurs cours plénières dans ces fêtes splendides qu’on appelle des tournois et des joutes.

  1. On peut, nous le pensons, attribuer ce changement au culte de la Vierge, qui s’est répandu à la fin du XIe siècle comme une religion nouvelle greffée sur le catholicisme : Marie, mère du Sauveur et reine des anges, a réhabilité son sexe.