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queue de serpent ou robes traînantes qui s’étaient montrées à Paris dès le XIIIe siècle reparurent plus traînantes et plus tapageuses que jamais. Celle de la reine Élisabeth d’Autriche, lorsqu’elle fit son entrée à Paris en 1571, montée sur une haquenée, n’avait pas moins de 20 aunes de long, et il fallut six écuyers pour soutenir la longue bande d’étoffe qui pendait de la selle. Le reste fut à l’avenant. La vertugale prit des proportions démesurées, et l’on eût dit que les femmes prenaient plaisir à se défigurer. Elles emprisonnaient leur cou dans des collerettes à triple étage, fortement empesées, qui s’arrondissaient sur leurs épaules comme une espèce de grillage ; leur taille, serrée outre mesure par un corsage à baleines, faisait l’effet d’un cône tenu en équilibre sur une pointe, et dans cet accoutrement bizarre elles ressemblaient à deux cloches renversées et réunies par leur extrémité supérieure. Les hommes portaient des chausses bouffantes et paraissaient enveloppés par le milieu du corps dans un ballon gonflé d’air. Toutes les pièces de leur costume étaient tailladées avec bordures de torsades d’or, de galons d’argent ou de velours. Ce costume ne manquait pas d’élégance, mais dans le détail il offrait toutes les mignardises de la coquetterie la plus raffinée. Henri III donnait l’exemple. Ce prince, que le peuple de Paris appelait « l’empeseur des collets de sa femme » et d’Aubigné une « guenon fardée, » prenait plus de soin de sa toilette que de son royaume. En 1578, il inventa une fraise formée de 15 lés de linon superposés et large d’un tiers d’aune, et, pour lui donner une raideur suffisante, il composa un empois nouveau. « À voir sa teste sur ces fraises, dit L’Estoile, il semblait que ce fust le chef de saint Jean-Baptiste sur un plat. » Les écoliers de Paris, affublés d’une parure semblable en papier, allèrent se promener à la foire Saint-Germain en criant : « À la fraise, on connaît le veau. » Ce cri séditieux fut puni de quelques jours de prison ; mais il n’en fit pas moins fortune, car les Parisiens avaient reculé les bornes du mépris pour ce dernier rejeton des Valois, qui dépensa aux noces de Joyeuse 13,372,320 francs de notre monnaie dans des fêtes auxquelles il ne manquait que des gladiateurs et des naumachies pour égaler les monstrueuses orgies de la décadence romaine.

Henri III avait corrompu les mœurs, sa sœur Marguerite acheva de corrompre les modes. Bien qu’elle eût de magnifiques cheveux noirs, elle s’éprit d’une folle passion pour les perruques blondes ; elle ne voulait pour la servir que des pages d’un blond de lin, et, pour se parer de leur dépouille, elle mettait leurs cheveux en coupe réglée. Encouragées par son exemple, les femmes de la noblesse et de la bourgeoisie se ruinaient pour se faire belles. Elles portaient des chaînes d’or sur la tête, au cou, aux entournures de la robe, des gants parfumés, frangés, chiquetés, qu’elles gardaient même dans