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que les autres à la haine et à la vengeance, prenaient pour s’en défendre les plus étranges précautions. D’après une tradition qui remontait au moyen âge, on attribuait à la licorne le pouvoir de découvrir les choses impures dans les hommes et les choses inanimées. On s’imaginait qu’en se procurant des morceaux de la corne rouge, blanche et noire qu’elle portait, disait-on, sur la tête, on pouvait facilement reconnaître si les boissons étaient saines ou non. On en fabriquait des coupes qui devaient se briser au contact du poison, des manches de couteaux auxquels on attribuait la propriété de suer du sang quand ils touchaient des viandes préparées pour donner la mort, et, comme la fable même dans les âges les plus sceptiques s’impose avec autant et plus de force que la vérité, on était toujours sûr de trouver, quand on pouvait y mettre le prix, de la corne de licorne. L’illustre Ambroise Paré fut le premier qui protesta contre cette superstition.

Les migrations byzantines et les guerres d’Italie contribuèrent pour une très large part à l’essor que prirent en France les industries somptuaires au XVIe siècle ; mais il est encore d’autres causes dont il faut tenir compte. Les alchimistes ne s’enfermaient plus, comme au moyen âge, dans la recherche de la pierre philosophale. Ils appliquaient aux arts technologiques leurs connaissances sur la combinaison des corps. Les procédés de fabrication, tenus secrets jusque-là par les corporations d’arts et métiers, étaient divulgués par l’imprimerie, et bien que la législation industrielle fût encore la même qu’au moyen âge, les rois y dérogeaient souvent et favorisaient, par des concessions libérales, l’initiative des inventeurs. Les entailleurs d’images, les verriers, les potiers, les tapissiers de haute lisse, les charpentiers de la grande cognée, n’étaient plus, comme autrefois, d’obscurs artisans qui mouraient inconnus dans la ville qui les avait vus naître. C’étaient des artistes que les plus grands personnages appelaient auprès d’eux pour décorer les palais et les hôtels. Depuis François Ier jusqu’à l’avènement de Henri IV, la peste, la famine, la guerre étrangère, les massacres des guerres civiles avaient désolé le royaume, et cependant la France, déjà vieille de douze siècles, était restée le pays de l’élégance et des fêtes, comme pour donner aux peuples coalisés contre elle un éclatant témoignage de sa puissante vitalité.


V

La Ligue, qui voulait mettre les catholiques à l’abri des reproches que leur adressaient les réformés, amena momentanément des habitudes d’économie et de simplicité ; d’autre part, le réveil de l’esprit municipal enleva aux Parisiens la suprématie qu’ils avaient