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plat à larges bords et à plumes, une collerette plate rabattue sur le pourpoint, les cheveux longs et la moustache en croc. Il n’est pas besoin de dire que cette mise était celle de la noblesse et de la grosse bourgeoisie. Pour les artisans des villes et les paysans la mode ne changeait pas ; irrévocablement condamnés à la serge et à la bure, ils avaient toujours, les uns les mêmes chausses flottantes, les mêmes bas en laine grossière, les autres la même cape écourtée, les mêmes guêtres de toile, les mêmes galoches. Le plus grand nombre allait pieds nus, car ainsi que Ta dit M. de Tocqueville, leur condition était quelquefois pire dans les derniers siècles de la monarchie qu’elle ne l’avait été au XIIIe siècle.

Les modes changèrent peu sous Louis XIV quant au type général ; les femmes conservèrent l’habitude qu’elles avaient prise sous le précédent règne d’abuser du décolleté jusqu’à désespérer les casuistes. Déjà en 1637 Un curé de Paris, Pierre Juvernay, les avait sommées, dans un gros livre, de renoncer à cette mode inconvenante. « En découvrant votre gorge et vos bras, vous sortez, leur disait-il, du secret cabinet de Dieu. Vous avez beau suspendre à votre cou un saint-esprit émaillé, ce n’est là qu’un nouveau péché ; au lieu d’un saint-esprit, prenez un crapaud pour ornement poictrinal, car cette vilaine bête ne se plaît que parmi les immondices[1]. » L’abbé Jacques Boileau, le frère du satirique, reprit, en 1673, la thèse de Juvernay, dans l’Abus des nudités de gorge. Il parle de ces nudités redoutables en théologien effaré qui en craint les effets pour lui-même encore plus que pour les autres. Il y perdit son latin, et ce fut Mme de Maintenon qui eut le mérite de convertir les pécheresses comme elle avait converti Louis XIV. Pour accomplir par un grand exemple cette révolution de la pruderie où les casuistes échouaient l’un après l’autre, elle cacha sous des flots de dentelles noires ses beautés poictrinales ; les dames de la cour firent comme elle, et rentrèrent dévotement dans le secret cabinet de Dieu.

La révolution des dentelles noires ne fut pas la seule, il y eut aussi celle de l’hygiène. Les bonnes gens du moyen âge faisaient un grand usage des bains ; ils allaient fréquemment aux étuves, et ne croyaient pas, comme Benoît Labre, déplaire à Dieu en se trempant dans l’eau ; malheureusement pour la morale publique, les étuves étaient tenues par les barbiers, qui en ouvraient l’accès aux deux sexes. Il s’ensuivit une promiscuité si grande et de tels scandales que la police fut obligée d’intervenir. Au XVIe siècle, elle

  1. Molière pensait peut-être au livre de Juvernay lorsqu’il fait dire à Tartufe :
    Cachez ce sein que je ne saurais voir.