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autres, plus ou moins illustres dans toutes les spécialités du savoir humain, mais qui s’élevaient au-dessus de ces spécialités pour les faire contribuer à l’éducation générale de l’esprit.

Rien ne rebutait Humboldt dès qu’il s’agissait de gagner un homme de mérite. Ses négociations furent très difficiles avec Wolf. C’était le premier, sans conteste, des philologues classiques ; il était pénétré du sentiment de sa valeur, et demandait beaucoup d’argent, encore plus d’égards. Il était tourmenté de l’envie de faire « une figure extra-scientifique,  » et de s’entendre appeler « monsieur le conseiller d’état. » Humboldt s’en affligeait : « Un savant comme vous, lui écrivait-il, ne doit pas être conseiller d’état ; il doit se mieux estimer, mépriser les titres et ne point s’embarrasser de lourdes affaires ! » Wolf tenait bon, et l’aigreur de son caractère finissait par lasser ses meilleurs amis ; mais Humboldt ne se lassa point. Plus que l’érudition, il estimait chez Wolf la façon dont ce professeur transmettait sa science, car « tous ses élèves apportaient dans leurs recherches une vraie profondeur d’esprit. » Comme Niebuhr, cet autre admirateur de Wolf, Humboldt pensait qu’on devait pardonner bien des défauts à un homme qui avait mené tant d’autres hommes « à la vie supérieure par l’amour de l’antiquité. » Le large esprit du créateur de l’université n’admettait point que l’on emprisonnât son intelligence dans quelque coin du savoir : « sans la connaissance de l’antiquité classique et sans la philosophie, disait-il, il n’y a pas de culture intellectuelle ! »

Humboldt ne mena point jusqu’au bout l’œuvre à laquelle il avait consacré de si heureux efforts ; pour des raisons mal connues, il obtint, au mois d’avril 1810, d’être relevé des ses fonctions, et fut nommé ambassadeur à Vienne. Un instant, on craignit que son départ ne compromît le succès de l’entreprise ; mais on touchait au but, et il n’y avait plus qu’à suivre la route tracée. Les facultés furent complétées ; aux professeurs ordinaires et extraordinaires s’adjoignirent de nombreux privat-docenten, pris pour la plupart dans les collèges de la capitale. Le corps universitaire, dont les membres commençaient à se connaître et à délibérer en commun, était pénétré de cette vérité qu’il fallait laisser subsister et même au besoin provoquer de l’opposition entre les doctrines des maîtres, pour que la science ne fût pas tranquillement « exploitée par chacun d’eux comme un métier. » Fichte, quelque grande que fût sa renommée, ne suffisait point à la faculté de philosophie : on cherchait à lui opposer quelqu’un qui pensât autrement que lui et qui représentât, en face de l’idéalisme, la philosophie naturelle. Schleiermacher proposait Steffens, adversaire de Fichte, et qui avait enseigné avec éclat à Halle. Au dire d’un autre professeur, Steffens était