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pendant près d’une demi-heure la hauteur de cette protubérance s’est accrue d’environ 90 kilomètres par seconde.

Il faut d’ailleurs distinguer entre les protubérances calmes et paisibles, faiblement lumineuses, dont les formes persistent assez longtemps, et les protubérances éruptives ou flamboyantes, qui possèdent une vive lumière, se transforment à vue d’œil et n’ont généralement que peu de durée. Les premières semblent composées d’hydrogène pur et d’une substance inconnue qu’on a provisoirement nommée hélium ; les secondes au contraire entraînent à de grandes hauteurs des vapeurs de sodium, de magnésium, de fer, de calcium, etc. Ces éruptions de vapeurs métalliques, d’après le père Secchi et M. Spœrer, ne se montrent que dans la région des taches, c’est-à-dire à moins de 30 degrés de l’équateur solaire. Les jets de gaz embrasés sont parfois lancés avec une force d’impulsion incroyable, à en juger par la vertigineuse vitesse avec laquelle ils s’élèvent et qui, dans certains cas, dépasse 300 kilomètres par seconde (c’est sept cents ou huit cents fois la vitesse d’un boulet de canon)[1]. En quelques instans, on voit parfois des changemens à vue s’opérer dans un espace dont l’étendue dépasse 100 000 kilomètres ; on n’a pas le temps de les dessiner.

Une étude attentive fait bientôt reconnaître que les protubérances ne sont, pour ainsi dire, que des exagérations d’une couche continue de couleur rose qui enveloppe le soleil de toutes parts et à laquelle M. Lockyer a donné le nom de chromosphère. À vrai dire, on l’avait déjà remarquée pendant les éclipses : c’est « l’arc rose, » la « sierra » des observateurs de 1860. L’épaisseur apparente de la chromosphère varie beaucoup avec l’état du ciel et la puissance de l’instrument dont on fait usage ; les observations spectroscopiques ne lui assignent que 10 ou 15 secondes, mais pendant les éclipses totales on aperçoit une faible coloration rose jusqu’à des distances beaucoup plus considérables (quelques minutes, d’après M. Respighi). Le contour de cette couche paraît d’ordinaire mal terminé, frangé de flammes petites et fines qui lui donnent un aspect gazonné ; parfois ces flammes se développent davantage, et l’on croirait voir un champ où l’on brûle des herbes après la moisson. Aux époques de calme, cette enveloppe rose s’amincit singulièrement et

  1. Quelques observateurs parlent de vitesses encore plus grandes : M. Respighi veut avoir constaté des vitesses allant jusqu’à 800 kilomètres ; mais un corps lancé avec une vitesse de 600 kilomètres quitterait déjà le soleil sans retour, comme un boulet lancé avec une vitesse initiale de 11 kilomètres quitterait la terre. On ne peut donc accueillir ces assertions qu’avec beaucoup de réserves, à moins qu’on n’admette avec quelques savans la diffusion indéfinie de l’hydrogène du soleil dans les espaces planétaires.