Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un buste dont la beauté se dessinait surtout lorsqu’elle maniait son cheval de bataille, poussant et retenant l’animal superbe qui ne savait que mordre son frein blanc d’écume et se plier aux volontés de la jeune guerrière. Le sire d’Aulnon, chargé par le dauphin d’accompagner Jeanne d’Arc en qualité de garde du corps, raconte des merveilles de ce buste, dont, paraît-il, la cohabitation forcée de la vie des camps lui permit souvent d’inventorier les trésors du coin de l’œil : aliquando videbat ejus rnammas qaœ pulchræ erant. Elle avait au plus haut degré le diagnostic des natures nerveuses : sensible à l’excès, portée aux larmes, et dans les momens d’enthousiasme son visage s’illuminait de radiations célestes. Remarquons aussi la vibration particulière de sa voix : vox infantilis, quelque chose d’immaculé, de virginal, et notons à trois siècles de distance le même phénomène chez une autre héroïne de notre histoire : Charlotte Corday avait également cette limpidité d’accent, cet enchantement de la voix ; un peintre allemand nommé Hauer, qui dessina ses traits in extremis et ne la quitta qu’au marchepied de l’infâme charrette, a constaté ce don exquis, et, sans établir de parallèle entre la grande libératrice du sol national au XVe siècle et cette pauvre fille toute romaine qui ne reconnaissait d’autres héros que les héros de sa république, d’autres dieux que ses dieux, cherchant des Brutus et des Cassius sous les ombrages du Palais-Royal et des Champs-Elysées, encore est-il permis de relever un signe d’ineffable pureté commun à ces deux belles âmes. On voit par ce rapide crayon ce qui manque à Mlle Krauss pour ressembler à Jeanne d’Arc. Tout le côté en dehors est rendu admirablement : elle a la force et la puissance, l’autorité du geste et du maintien ; le reste, naïveté, pathétique, illuminisme, est absent, elle a le casque sans le nimbe. Je ne veux point dire que le double aspect du rôle échappe à son intelligence ; elle comprend très bien au contraire, seulement les moyens lui font défaut ; son tempérament de grande tragédienne classique se refuse à l’expression des rêveries et des extases de la jeune fille, et puis cette résonnance idéale, cette voix de l’enfant qui cause avec les anges et les saints du paradis, où la trouver ? La vraie place de Mlle Krauss est sur la terre et non dans les régions mystiques, son triomphe est dans l’appel aux armes, dans son invocation au dieu des batailles, quand, aux dernières mesures du Veni Creator, elle enlève d’un effort surhumain et les chœurs, et l’orchestre, et la salle ; noble et -généreux mouvement où l’on sent que la valeureuse artiste épouse en plein la cause de l’auteur, dont elle finit pair gagner le procès devant le public ! Si Mlle Krauss ne ressemble guère à Jeanne d’Arc, M. Faure ne ressemble pas davantage au dauphin de France, et bien lui en prend, car ce très pauvre sire était de sa personne un assez vilain masque, et M. Faure est assurément le plus beau roi qui jamais ait balayé de son manteau fleurdelisé les planches d’un théâtre. Le chanteur n’est peut-être pas ce qu’il fut, la voix s’empâte, et le fameux effet obligé sur la