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légèreté avec laquelle ils ont négligé toute la partie relevée et délicate de l’œuvre ? Je conviens tout de suite que cette partie y occupe la moindre place ; mais ce n’est pas une raison pour la passer complètement sous silence. L’Amour et la Femme, dont il a été fait tant de bruit, peuvent être considérés sous deux aspects bien différens. Le premier est aussi désagréable que possible, et si je voulais faire à mon tour un peu de physiologie, je ne serais pas embarrassé de dire quelle a été l’aventure de Michelet. Lorsque la mère du marquis et du bailli de Mirabeau, dont l’existence irréprochable avait toujours mérité le respect de ses enfans, approcha de la vieillesse, elle perdit brusquement la raison, et ses enfans l’entendirent, avec une stupeur douloureuse, tenir dans sa folie des propos dont la hardiesse cynique contrastait avec l’austérité de sa vie. Ceux qui ont étudié les formes diverses de l’aliénation mentale connaissent les effets redoutables de ces vengeances tardives de la nature. On dirait qu’un phénomène analogue s’est produit, sur le tard, dans le talent de Michelet, et qu’il a subi la revanche, d’une imagination moins pure que sa vie. Les tableaux d’une anatomie amoureuse qu’il fait défiler devant nos yeux n’ont rien de séduisant ; on dirait le pinceau de Boucher s’appliquant à reproduire des scènes d’amphithéâtre. Mais si l’on pouvait fermer le plus souvent les yeux pour ne les rouvrir qu’aux bons endroits, on trouverait aussi dans ces livres des peintures toutes différentes de celles (il faut bien le dire) que la plupart des lecteurs vont y chercher : des tableaux d’intérieur chastes et gracieux, des scènes de famille qui auraient inspiré le génie de Gérard Dow.

Si Michelet avait voulu renoncer à ses prétentions de physiologiste, s’il avait laissé là les découvertes de M. Pouchet, les atlas de M. Coste, et fréquenté moins assidûment les salles de dissection de Clamart, il aurait eu le temps de cultiver en lui le germe d’un talent nouveau : une fine connaissance des sentimens humains, un don de minutieuse analyse de ces impressions fugitives ou profondes, avouées ou secrètes, dont la succession est l’histoire du cœur féminin. Ces impressions, Michelet les comprend, il les décrit toutes depuis l’enfance jusqu’à la mort. Il n’y a pas d’âge de la vie qui n’ait ses quelques lignes, et avec des morceaux détachés de l’Amour et de la Femme on pourrait faire une sorte de livre d’heures, un recueil où plus d’une femme croirait lire le journal de son âme. Si elle remontait aux années de son enfance, n’y trouverait-elle pas d’abord la mémoire d’un jour où après avoir été un peu grondée, on aurait pu la voir « dans un coin envelopper tout doucement le moindre objet, un petit bâton peut-être, de quelques linges, d’un morceau d’une des robes de sa mère, le serrer d’un fil au milieu, et