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soyez fantaisistes, réalistes ou impressionnistes, vous feriez bien de vous défier de vos partis-pris. On commence par avoir plus de talent que de manière, on finit par avoir plus de manière que de talent.


II

Les rigides amis du grand art, qui demandent à cor et à cri qu’on supprime les expositions annuelles, ne chagrinent pas seulement les jeunes artistes, à qui elles offrent la meilleure occasion de se faire connaître et de se produire ; ils se montrent peu soucieux des plaisirs du public. Le Salon est une institution qui est entrée dans les mœurs, dans les habitudes ; nous aurions tous beaucoup de peine à nous en passer. Nous vivons dans un temps où les fêtes publiques deviennent de plus en plus rares ; pourquoi donc abolir celle-là ? C’est la seule que tout le monde se plaise à fêter. On en parle longtemps d’avance, la curiosité s’allume, et le jour de l’ouverture, ceux qui ne trouvent au Palais de l’Industrie rien qui leur revienne ne sont pas les plus malheureux. Ils ont le plaisir de répéter une fois de plus que l’art est en décadence, que le grand goût se meurt, que le style agonise, et ce n’est pas un médiocre divertissement que de chanter un Miserere en donnant la discipline à son siècle.

Tout le monde n’irait pas au Salon si on n’y trouvait un peu de tout ; mais, parmi les quatre mille peintures, dessins, cartons, gravures, statues et bustes qui y sont exposés, tout le monde est sûr d’attraper son lopin. On fait son voyage de découvertes, on finit toujours par rencontrer ce qu’on cherchait. Les uns courent après les bons ouvrages qui portent la marque de l’ouvrier ; les autres, se livrant à leur curiosité, vont droit aux sujets qui leur plaisent, et chacun s’amuse ou s’instruit à sa façon. Les amateurs de sujets exotiques, ceux qui vont au Salon pour y voir ce qu’ils ne voient pas tous les jours, ont de quoi se satisfaire. Le nord et le midi, l’orient et l’occident, tous les ciels, tous les climats, toutes les faunes et toutes les flores sont rassemblés dans le Palais de l’Industrie. Voulez-vous faire la connaissance d’Anvers ? La reine de l’Escaut a été peinte au naturel par M. Mols ; son tableau, qui a bien dix mètres de long, se fait remarquer par sa taille d’abord et par son mérite aussi ; il est, assure-t-on, d’une parfaite exactitude. Nous le trouvons trop exact, en vérité, et surtout trop complet ; c’est un panorama. Nous avons vu au musée de Madrid un grand tableau de Mazo qui représente Saragosse, prise de la rive gauche de l’Èbre ; sur le premier plan, de nombreux personnages forment des groupes divers ; ils ont été peints par Velasquez, et nous