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Palais de l’Industrie, où cependant on lui avait fait bon accueil. Nous nous demandons aussi ce que devient la peinture alpestre ; nous n’avons pas découvert dans tout le Salon une cime neigeuse, ni un torrent écumeux, ni une sapinière. La Suisse travaille beaucoup, mais elle s’est brouillée avec ses premières amours. Elle a envoyé de bonnes toiles, signées les unes par M. Anker, une autre par M. Bocion ; elle a envoyé encore une superbe robe amarante qui prouve que M. Giron s’occupe et se préoccupe d’un portraitiste à la mode, né à Lille. Un autre artiste genevois, M. Simon Durand, soutient sa réputation par son Mariage à l’église, qui a du succès. Il y a dans sa manière et dans sa touche beaucoup de naturel, beaucoup de franchise ; il est né conteur et il dit très bien ce qu’il veut dire. Nous regrettons seulement qu’il ne se défie pas assez de son penchant à la caricature ; les peintres de genre ont quelquefois trop d’esprit ; ils n’ont jamais trop de bonhomie. M. Gustave Castan, depuis longtemps infidèle aux sapins, a exposé un Ruisseau et un Souvenir d’Auvers, où l’on retrouve l’agréable facilité et le charme habituel de son pinceau. Pourquoi le peintre par excellence des scènes alpestres, M. Gabriel Loppé, qui escalade les Alpes comme un guide de Chamonix et qui les voit avec des yeux de poète, n’expose-t-il qu’à Londres, où ils font sensation, ses glaciers et ses névés ? S’il les envoyait aux Champs-Elysées, on y constaterait sûrement qu’il y a autant d’harmonie et de finesse dans son faire que d’audace dans le choix de ses sujets. Paris, qui a aujourd’hui un club alpin, n’a de préjugés contre quoi que ce soit, pas même contre le Mont-Blanc.

Toutefois, il faut en convenir, ce que le Parisien comprend et aime le mieux, c’est Paris ; rien ne lui paraît plus clair ni plus aimable. Quelles ressources, quelle abondance de sujets ne fournit pas aux peintres cette ville privilégiée ! Elle a pour elle non-seulement la beauté de ses lignes et de ses perspectives, mais l’incomparable douceur de son ciel, le plus flou, le plus gracieux, le plus spirituellement vaporeux, le plus coquettement artiste de tous les ciels, qui estompe, baigne, caresse, enveloppe tous les objets, châtie les contours, assourdit les notes criardes, fait chanter les tons doux, possède tous les secrets de la musique des couleurs. Un peintre de nos amis s’écriait un jour : « Je méprise les hommes qui ne comprennent pas que le gris est le fond de la nature. » Oui, le gris dans toutes ses nuances, depuis le gris d’ardoise jusqu’au gris de perle et au gris d’opale, est le fond de la nature ; mais la manière de s’en servir, c’est le ciel de Paris qui l’enseigne. M. Grandjean le sait bien, et pourtant il ne le sait pas assez. Son Boulevard des Italiens est agréable, animé, amusant, vivant, grouillant, et la perspective en est heureuse ; mais les ombres sont trop crues, trop