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Ptolémaïs, dans les ateliers des princes croisés. Un historien arabe dit que, « durant les trois années qui suivirent la conquête de Tyr (1129), les Francs continuèrent à battre monnaie au nom du calife El-Amer, mais qu’au bout de ce temps ils cessèrent de le faire. » Cet auteur ne se trompait point, et comme le dit M. Lavoix, conservateur au cabinet des médailles, dans un intéressant mémoire auquel nous empruntons ces détails, nous possédons, nous possédions même depuis longtemps, sans le savoir, ces monnaies frappées par les croisés à la plus grande gloire de Mahomet. Cette émission d’espèces musulmanes faite par des chrétiens se continua pendant tout le temps du séjour des croisés en terre-sainte ; on les frappait à Tripoli, à Tyr, à Saint-Jean-d’Acre ; elles eurent cours partout.

Mille raisons puissantes rapprochèrent forcément les deux races ennemies sur le territoire de la conquête : nécessités de la vie de chaque jour, disette si fréquente dans ces pays sans cesse exposés à toutes les horreurs de l’invasion lorsque, les secours attendus de la mère patrie venant à manquer, il fallait, à moins de mourir de faim, songer à acheter ses vivres des mains de l’ennemi. Il y eut bientôt même des alliances avec les émirs arabes. On pourrait accumuler les exemples les plus curieux de cette fusion partielle des deux races. C’est ainsi qu’il y avait à la solde des croisés et combattant dans leurs rangs, sous le nom de turcopoles, un grand nombre de mercenaires arabes, et la charge de grand-turcoplier ou chef des Turcoples, devint un des emplois importans de la cour des rois de Chypre. On retrouve du reste plus tard, en Anatolie et en Grèce, ces mêmes grands-turcopliers devenus de véritables chefs d’aventuriers, se louant au plus offrant et combattant au service des princes angevins, en Morée, et des chefs de la compagnie catalane, en Thessalie et en Attique.

C’étaient des artistes sarrasins qui décoraient les édifices parfois fort luxueux élevés par les croisés : ce furent des ouvriers syriens qui ornèrent le magnifique palais élevé à Beyrouth par les Ibelins. Dans la plupart des villages de terre-sainte, habités pêle-mêle par les Syriens, chrétiens ou musulmans, les Turcs ou même les Bédouins, les deux races vivaient dans des rapports pacifiques. Les mariages avec des Syriennes converties, avec des femmes sarrasines même, n’étaient pas rares, ainsi que le dit Foucher de Chartres dans le tableau qu’il nous trace de l’esprit qui animait les colonies franques vers l’époque du règne de Baudouin II : « le lion et le bœuf mangent au même râtelier, les idiomes les plus différens sont maintenant communs à l’une et à l’autre nation, et la confiance rapproche les races les plus éloignées. » Le baron de Slane a retrouvé, dans les inventaires des archives des familles arabes de Syrie, la mention de permissions de chasse accordées réciproquement