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S’agissait-il d’un tribut à payer au khan, et celui-ci exigeait-il que ce tribut lui fût compté avec une monnaie portant son nom ? Quoi qu’il en soit, ces petites pièces sont d’intéressans témoignages de ces temps aventureux, de curieuses reliques de ces hardis commerçans qui en plein moyen âge, par-delà cette Mer-Noire si dangereuse et si mal connue, avaient implanté sur les côtes de Crimée la brillante civilisation de la ville de marbre et créé la fortune de ses grandes maisons patriciennes. Lorsque les événemens de Crimée transportèrent sous les murs de Sébastopol, à la suite des armées anglo-françaises, un corps sarde auxiliaire qui fit glorieusement son devoir, plus d’un officier de ces vaillans bersagliers piémontais aurait pu reconnaître sur les tours et les créneaux de Gaffa ou sur les murs des châteaux ou des ports génois échelonnés sur la côte méridionale de Crimée, les écussons de ses pères.


IV

Les monnaies des rois mêmes de Jérusalem, des barons de la première baronnie de terre-sainte, comme ils s’intitulaient parfois, sont peu nombreuses. On n’en connaît aucune du premier d’entre eux, de Godefroy de Bouillon. Il est d’ailleurs peu probable que le pieux guerrier qui poussa l’humilité jusqu’à refuser de recevoir la couronne royale dans la ville où son sauveur avait été crucifié et couronné d’épines, ait eu cette autre vanité de faire frapper monnaie à son effigie et d’y faire inscrire le titre qu’il ne voulait point porter. On ne possède également aucun souvenir numismatique de Foulques d’Anjou, de ce roi chevaleresque qui fit une fin si tragique dans la plaine de Saint-Jean d’Acre, sous les yeux de la reine Mélissende et de toute sa cour.

Quant aux monnaies de billon, deniers et oboles des autres rois de Jérusalem, des Baudouin, des Amaury, des Jean de Brienne, elles sont fort intéressantes parce qu’on y voit figurés, grossièrement, il est vrai, mais avec certains détails d’exactitude naïve, les principaux monumens qui faisaient, au temps des croisades, la gloire ou la force de la ville sainte. Sur les deniers de Baudouin IV figure une haute et large tour crénelée : c’est la célèbre Tour David ou Tour de David, édifice bien connu des pèlerins et des voyageurs, dont les assises inférieures sont évidemment contemporaines des rois de Juda, et qui au moyen âge portait le nom sous lequel elle est encore désignée de nos jours. La base constitue un massif antique sans aucun vide intérieur, que M. de Saulcy croit être la substruction de la vieille tour Phasaël, décrite par Josèphe ; ce serait donc une de ces trois tours de la ville sainte qui furent considérées comme des merveilles par Titus lui-même, et