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s’installent sans façon à son foyer pour faire leur compte de répartition. Si ce compte n’est pas conforme à ce que la délation ou la notoriété a établi, il en résulte des violences et de nombreuses exactions. Généralement les répartiteurs viennent dans les villages au mois de mars, ils arrêtent leurs états, et, peu de temps après, exigent l’impôt en argent ; mais comme entre la venue du fermier et le moment de la perception l’épizootie s’est déclarée, ou qu’au moins en temps normal on a passé par l’épreuve qu’amène avec elle la saison de la mortalité et de la maladie, on prend toujours pour base le nombre de têtes inscrites avant cette époque ; s’il y a contestation ou si le raïa n’a point d’argent comptant, comme il doit 2 piastres pour chaque menu bétail, il n’est pas rare de voir le fermier se payer en nature, et, pour quelques moutons qui lui sont dus, emmener de force une bête du troupeau d’une valeur bien supérieure.

Le donuzia est fixé à 4 piastres par an pour chaque tête de porc dont le poids est supérieur au poids normal ; cet impôt a été l’objet des récriminations les plus vives. L’impôt a même dû être remanié : dans le principe, il était de 3 piastres par chaque tête d’animal, quels que fussent son poids et sa taille ; il a été successivement élevé au point de rapporter à l’état jusqu’à 40 piastres pan an et par tête. Les chrétiens de la Posavine, cette contrée limitrophe de l’Autriche, voyant disparaître ainsi leur seule ressource, ont vendu leurs porcs dans les Confins, et se sont voués au travail de la terre. L’état y a perdu, on n’a frappé dès lors que les têtes du troupeau. Il y avait aussi dans la pratique un fait aggravant : le Koran regarde le porc comme un animal immonde, il ne le désigne que sous le nom de « ruminant au sabot fendu ; » or, contraindre un musulman à faire le recensement des porcs, c’est condamner le chrétien chez lequel il entre pour accomplir cette besogne à des insultes sans fin. Ce sont désormais les chefs des villages qui s’acquittent de cette tâche directement chez les fermiers, et dans une ville turque, même dans le quartier serbe, un chrétien n’ose point conserver un porc dans sa cour ; c’est même avec de grandes précautions que les paysans font le trafic de la viande de cet animal.

Pour le miel, il semblerait qu’il n’y a point de place à la fraude dans la perception du droit dont sont frappées les ruches ; mais les intéressés prétendent qu’alors même que les abeilles les ont abandonnées depuis plusieurs saisons, les percepteurs les forcent encore d’acquitter pour chaque ruche vide le tribut de à piastres.

De toutes les charges qui pèsent sur les chrétiens, celle qu’on leur impose sous le nom de rad est peut-être la plus dure. On a établi en principe dans l’administration des deux provinces qu’un homme qui possède un cheval peut gagner par an 2,500 piastres (500 francs) ; sur cette moyenne de gain qu’on le suppose, devoir