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réaliser, sans lui tenir compte ni de la nourriture, ni de d’entretien de la bête de somme, on exige de lui la quarantième partie du revenu qu’il devrait en retirer. S’il est dans les conditions les plus humbles, il entre dans la catégorie de celui dont le travail par année ne représente que 1,000 piastres (200 francs), et il doit alors à l’état 25 piastres. S’il est immobilisé par la maladie, s’il ne trouve pas de transports à faire d’une ville à l’autre, ou de services à rendre au moment de la récolte, il n’en est pas moins coté pour sa moyenne et il doit l’acquitter, car dans la répartition par village on a compté les têtes, et le cas d’empêchement de force majeure n’a pas été admis.

L’obligation de travailler sur les routes publiques existe dans la plupart des contrées slaves du nord ; elle se pratique encore à l’heure qu’il est dans la principauté de Servie, et là elle s’impose à tous les citoyens. Le riche se fait représenter ou paie sa rançon ; c’est par ce moyen que les routes publiques de cet état ont été exécutées dans l’empire ottoman, les chrétiens seuls sont forcés d’accomplir cette corvée, et là où dans l’état voisin on ne peut voir qu’un impôt perçu sur tous pour le bien de tous, on peut voir en terre turque une servitude imposée par des musulmans à tous les chrétiens des deux rites. Si l’on s’en tenait aux termes formels de la loi, la corvée serait rétribuée, et, si mince que fût la paie, elle serait une compensation au déplacement, aux dépenses qu’elle entraine et à la perte de temps qui en résulte. La loi dit que le chrétien donnera à l’état, pour le percement et l’entretien des routes publiques, de quatre à huit jours de travail par an. Or, le raïa ne reçoit jamais de paie et on lui enjoint parfois d’aller travailler à dix ou quinze jours de marche de sa demeure. Ce fut le cas pour le percement de la route qui mène de Mostar à Séraievo ; ces travaux s’accomplissaient au moment même où se préparait la moisson, et chaque individu inscrit sur le mufuz (liste des chrétiens mâles), quel que fût d’ailleurs le nombre d’individus fournis par chaque famille., se vit alors condamner à quinze jours d’absence de son foyer, laissant sans ressource sa femme et ses enfans, forcé de plus d’emporter la somme d’argent nécessaire pour sa nourriture, et son entretien de quinze jours, voyant tarir enfin pendant le même temps toute source de revenus pour les siens.

Lors de notre courte occupation française sous le premier empire, nous avions profité du bénéfice de cette dure loi imposée aux habitans par les vainqueurs, mais en administrateur habile le général Marmont avait offert au paysan serbe l’appât d’un gain rémunérateur qu’il devait à la fin de notre séjour rechercher avec empressement. C’était la conscription du travail : les riches donnaient de l’argent pour s’exempter, les pauvres travaillaient et gagnaient