Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêmes à quelque religion qu’ils appartiennent ; mais en réalité les Turcs qui siègent dans les medzlis n’ont pas plus suivi les prescriptions qui concernaient la justice que les caïmacans n’ont fait observer les lois nouvelles relatives à l’abolition des fermages, et le cadi, le code musulman à la main, persiste à juger les contestations entre chrétiens et musulmans d’après le scoriat, c’est-à-dire sans admettre le témoignage du premier, parce qu’il n’accepte pas l’idée d’égalité morale entre lui et le raïa, égalité reconnue par le tanzimat. Pour se convaincre de la réalité du fait, il suffit de jeter les yeux sur la note rédigée par le comte Andrassy au nom des trois puissances. « L’égalité devant la loi est un principe explicitement proclamé dans le hatti-houmaïoum et consacré par la législation, mais, tout en étant obligatoire endroit, ce principe n’est pas encore généralement appliqué dans tout l’empire. De fait, le témoignage des chrétiens contre les musulmans est accueilli par les tribunaux de Constantinople et de la plupart des grandes villes ; mais dans quelques provinces éloignées, telles que l’Herzégovine et la Bosnie, les juges refusent d’en reconnaître la validité. Il importerait donc de prendre des mesures pratiques pour qu’à l’avenir des chrétiens n’aient pas à redouter des dénis de justice. »

On voit que nous ne sommes pas loin de l’interprétation du diction populaire serbe, krsoaninu suda nema ! — pour le chrétien pas de justice. Les fonctionnaires turcs se sentant plus portés pour leurs coreligionnaires, et les caïmacans s’appuyant de préférence sur l’aga ou le beg propriétaire de la terre qui met à leur service son influence locale, il en résulte que ce proverbe, qu’on entend si souvent citer par le raïa, n’est pas uniquement une de ces exagérations mises en avant par un parti turbulent qui n’accepte point le fait accompli de la domination musulmane.


IV. — LA LIBERTE DES CULTES. — LES RAÏAS DES DEUX RITES.

Les raïas insurgés ont formulé leurs griefs au point de vue du libre exercice de leur religion dans des représentations rédigées par un de leurs chefs ; il est impossible de peser la valeur de ces assertions. Malgré ce qui vient de se passer à Salonique, le récit des faits imputés aux musulmans, meurtres, actes violens de prosélytisme, rapt d’enfans pour les soustraire au baptême, sévices de toute nature à l’égard du culte, etc., paraît empreint de l’exagération propre aux Slaves de ces provinces. Même en admettant l’exactitude de ces assertions, elles s’appliqueraient à telle ou telle localité, et ce serait un procès difficile à instruire ; il faut donc, quand on essaie de rechercher sans passion les causes du conflit,