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ont enregistrées : « Je ne veux reconnaître désormais les musulmans qu’à la mosquée, les chrétiens qu’à l’église, les juifs qu’à la synagogue[1].

On a bien dit que ces actes de tolérance étaient dictés moins par la nécessité et le désir de se rattacher les populations chrétiennes que par sa jalousie secrète contre Méhémet-Ali et le désir de vaincre en libéralisme le vassal insolent dont il n’avait pu triompher sur le champ de bataille ; mais le résultat fut le même, momentanément du moins, et il y eut une ère d’apaisement partout, excepté pourtant en Bosnie et en Herzégovine, car ce qui explique la situation actuelle, c’est justement la différence qui existe entre ces provinces et le reste de l’empire, et c’est là ce qu’il faut bien établir. Quoi qu’il en soit, le mouvement de réformes continuait, et le 31 juillet 1839 Réchid-Pacha, maintenu au ministère à l’avènement d’Abdul-Medjid, en présence du sultan, de tout le peuple assemblé et des représentans de la diplomatie, lut dans la plaine de Gulkhané le hatti-schérif dont il avait été le principal promoteur, qui décrétait le principe de l’égalité civile entre tous les sujets de l’empire « sans distinction d’origine ni de culte. »

La grande réforme de 1839, d’où aurait du dater l’affranchissement réel du raïa, était résolue dès 1831, et c’est Mahmoud qui en eut l’honneur ; mais dès cette époque les musulmans de Bosnie refusent de reconnaître la loi nouvelle, ils chassent le vizir de Travnik, et Ali-Bey, gouverneur de Stolatz en Herzégovine, marche contre les rebelles pour ramener le représentant du sultan dans sa résidence. La Porte, trouvant dans Ali un serviteur énergique qui vient de donner une preuve de fidélité, le crée pacha et vizir indépendant ; on lui donne le gouvernement de la province entière. Une fois là, au lieu d’appliquer les réformes de Mahmoud, il regarde à son tour comme un ennemi tout ce qui obéit à la loi nouvelle et accable les chrétiens. ; il garde pendant de longues années le gouvernement absolu du pays, malgré le sultan, dont il n’est plus que le vassal nominal, et il agit en maître à la condition de payer à la Porte un tribut de 200,000 francs par an. Pendant dix-sept années, le pouvoir des différens sultans qui se succèdent est illusoire dans les provinces, et ce n’est qu’en 1850 que, Ali le rebelle renversé, puis fusillé, l’autorité centrale est enfin reconnue.

C’est ainsi que la Bosnie et son vilayet d’Herzégovine ont échappé depuis 1831 jusqu’en 1850 au mouvement dont Mahmoud s’est fait le promoteur, et les hatti-schérifs, si libéraux dans leur esprit, ont été lettre morte pour les musulmans d’en haut, En 1850, ou l’a vu,

  1. Lettres sur la Turquie, par M. A. Ubicini.