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savoir où en sont nos affaires. Il avait le visage riant, donc nos affaires vont bien, et je suis content. » On faisait un peu ainsi au parlement, on prenait l’habitude de lire dans le regard du président du conseil.

C’était une dictature, si l’on veut ; mais c’était une dictature étrange, conquise jour par jour consentie à chaque instant, incessamment exercée sous le contrôle des chambres, sous les yeux d’un pays libre. Cavour, avec une confiance qu’il Bavait communiquer autour de lui, acceptait toutes les conditions de cette vie parlementaire qu’il aimait, dont il sentait la dignité et la force. Il ne reculait ni devant la lutte ni devant les responsabilités, et comme dans une circonstance on lui faisait remarquer qu’une mesure à laquelle il attachait du prix serait déjà réalisée, s’il avait été le ministre d’un régime absolu, il répondait vivement : « Vous oubliez que sous un gouvernement absolu je n’aurais pas voulu être ministre et je n’aurais pu le devenir. Je suis ce que je suis, parce que j’ai la chance d’être ministre constitutionnel… Le gouvernement parlementaire a ses inconvéniens comme les autres gouvernemens, et avec ses inconvéniens il vaut mieux que tous les autres. Je peux m’impatienter de certaines oppositions, les repousser avec vivacité, et puis en y réfléchissant je me félicite de ces oppositions, parce qu’elles m’obligent à mieux expliquer mes idées, à redoubler d’efforts pour convaincre l’opinion. générale… Un ministre absolu ordonne., un ministre constitutionnel a besoin, pour être obéi, de persuader, et je veux persuader que j’ai raison. » Croyez-moi, la plus mauvaise des chambres est encore préférable à la plus brillante des antichambres… » Et celui qui semblait exercer une dictature, qui en réalité l’exerçait moralement, se trouvait ainsi n’être que le premier des parlementaires pratiquant sans subterfuge, avec autant de fidélité que de libérale confiance, le régime qu’il paraissait éclipser.

L’autorité qu’il avait conquise, Cavour la devait sans doute à ses succès, à l’éclat d’une initiative heureuse, au relief flatteur qu’il avait su donner à son petit pays dans les démêlés de l’Europe ; il la devait aussi au génie des affaires, à l’universalité de son esprit, à une merveilleuse fertilité de ressources, à la sève communicative d’une nature aimable, familière et puissante. Ce n’était point assurément un chef de parti ordinaire celui qui pouvait être indifféremment, parfois en anémie temps, ministre du commerce, ministre des finances, ministre des affaires étrangères, ministre de l’intérieur et, même à un certain moment, ministre de la guerre, — portant tous ces fardeaux sans fléchir, avec une aptitude toujours prête, avec une activité infatigable. Cavour, au pouvoir comme au parlement, avait les avantages de l’éducation pratique de sa jeunesse. A la