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canons ouverte par le patriotisme italien, destinée à subvenir à l’armement de la citadelle piémontaise, tout cela pouvait sans doute, à plus juste titre que l’alliance avec les puissances occidentales, passer pour un « coup de pistolet, — et même un coup de canon, — tiré aux oreilles de l’Autriche. » Cavour ne niait rien et il n’accentuait rien ; il ne désavouait pas le caractère moral de la démonstration, en évitant toutefois ce qui eût ressemblé à une provocation trop directe. Il se tirait d’affaire en représentant la fortification d’Alexandrie comme l’exécution d’une vieille pensée et en mettant gaîment en scène son terrible collègue de la guerre, La Marmora. « Lorsque j’étais ministre des finances, il n’a cessé de me tourmenter, disait-il, et je me rappelle qu’avant son départ pour la Crimée une de ses dernières paroles fut celle-ci : rappelez-vous bien que, si vous ne pensez pas aux fortifications d’Alexandrie, un beau jour je proteste publiquement et solennellement contre vous… » Et de même, au sujet de la Spezzia, il reprenait : « À la paix, mon collègue La Marmora, qui est pour le moins aussi tenace que moi, m’a dit en rentrant au ministère de la guerre : — Alexandrie et la Spezzia ! Je lui ai répondu : — La Spezzia et Alexandrie ! » La fortification d’Alexandrie, complétant les fortifications de Casale, de Valenza sur le Pô, c’était dès ce moment la défense du Piémont assurée contre un premier choc, et par le fait c’est cet ensemble de travaux inspirés par la prévoyance qui, aux jours décisifs de 1859, devait sauver Turin en arrêtant l’invasion autrichienne, en laissant à une armée française le temps d’arriver. La création d’un grand arsenal à la Spezzia, à la dernière limite du royaume, cette création à laquelle Cavour ne craignait pas de s’essayer après Napoléon, se liait visiblement à de plus vastes combinaisons qui embrassaient tout au moins l’Italie du nord et du centre. Sous des formes diverses, ces deux projets de la Spezzia et d’Alexandrie, vivement disputés, enlevés presque d’autorité, restaient toujours des œuvres militaires, une sorte de préparation des luttes de l’avenir, peut-être d’une guerre prochaine. Le percement du Mont-Cenis représentait une autre face de cette politique infatigable, la pensée d’agrandissement par l’action morale, par toutes les initiatives fécondes, par l’extension et la facilité croissante des rapports entre nations.

Assurément c’était, pour un petit pays, une lourde affaire de s’attaquer au Mont-Cenis, de s’engager dans cette gigantesque aventure, ourles questions de politique, de finances, se mêlaient à une première question toute scientifique, celle de la possibilité et des procédés d’exécution. Cavour ne reculait pas devant cette œuvre audacieuse. Il en saisissait sans doute d’un regard pénétrant les bienfaits pratiques, les conséquences heureuses pour les intérêts subalpins, pour les industries nationales, pour le rôle de son petit