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œuvre par la plus grande des entreprises modernes, en votant le percement du Mont-Cenis… » C’est ainsi qu’on réussit, et lorsque des adversaires à courte vue pressaient Cavour en lui demandant où il voulait décidément aller, — en signalant le danger de placer à l’extrémité du royaume le plus grand établissement militaire, de multiplier les fortifications et les arméniens, d’engager le Piémont dans des entreprises qui excédaient ses forces ; lorsqu’on l’accusait de créer une situation artificielle et violente qui ne pouvait durer, il ne répondait pas toujours, quoiqu’il ne reculât guère devant l’aveu de sa pensée. Il savait bien tout ce qu’on pouvait dire. Pour le moment, le premier but de sa politique était atteint, puisqu’au prix d’efforts et de sacrifices dont il ne se dissimulait pas la gravité, qu’il laissait à l’avenir le soin de justifier, il pouvait montrer dans le Piémont le représentant actif, grandissant, accrédité, de l’idée libérale et nationale.

Le problème, pour Cavour, n’était pas seulement à Turin, il était désormais un peu partout au-delà des Alpes. Il consistait à pénétrer l’Italie de l’esprit nouveau qui animait la politique piémontaise, à rallier, à organiser, à discipliner le patriotisme italien sous ce drapeau aux trois couleurs tenu d’une main libre par un roi populaire. Cavour savait ce qu’avaient coûté à l’Italie les rêves, les conceptions chimériques, les sectes, les conjurations, les mouvemens violens. Il n’avait qu’une pensée : rompre avec cette fatalité, dégager la cause italienne de tout ce qui l’avait compromise, l’enlever aux partis révolutionnaires en lui maintenant le caractère d’une honnête et juste revendication, poursuivre ce qu’il avait commencé au congrès de Paris. Il comptait sur la propagande de sa politique libérale et nationale, non sur les moyens révolutionnaires, dont il connaissait la meurtrière stérilité et qu’il répudiait. Il disait familièrement des mazziniens : « J’admire leur dévoûment à une idée, leur fanatisme me fait horreur. » Un attentat commis contre le roi de Naples par le soldat Agésilas Milano n’excitait que son aversion, et il n’aurait pas songé à se faire un mérite de ses protestations indignées. A ceux qui lui reprochaient de ne pas favoriser toutes les tentatives d’insurrection dans les autres états italiens ou qui exaltaient devant lui des actes de meurtre et d’incendie, il répondait en plein parlement : « Nos paroles et notre politique ne tendent pas à exciter ou à seconder en Italie des mouvemens inconsidérés, de vaines et folles tentatives révolutionnaires. Nous entendons autrement la régénération italienne. Nous avons toujours suivi une politique franche et loyale, et tant que nous serons en paix avec les autres souverains de l’Italie, jamais nous n’emploierons des moyens révolutionnaires, jamais nous n’exciterons des troubles… Quant à Naples, on a rappelé des faits récens, des faits