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moi, je me verrais forcé de m’appuyer sur l’Autriche, et une fois dans cette voie, je serais obligé de renoncer au rêve le plus cher de mon esprit, au désir le plus doux de mon cœur, je veux dire l’indépendance de l’Italie… » Ces paroles ne laissaient pas d’être menaçantes en même temps que caressantes. Elles mettaient le Piémont dans une alternative cruelle.

Bref, pendant quelques jours, c’était une crise obscure, violente, aiguë, fiévreuse entre Turin et Paris. Plus d’une fois, en présence de l’attitude officielle du ministère français, Cavour crut tout perdu, et un instant même le roi se décidait à recourir de nouveau au grand moyen. De son propre mouvement, de souverain à souverain, Victor-Emmanuel écrivait à Napoléon III une lettre tout intime, où il parlait à cœur ouvert, protestant de son attachement, de son désir de plaire à l’empereur, mais en même temps déclarant avec une fierté émue qu’il y avait des choses qu’il ne pouvait pas faire, que, si on l’y forçait il irait comme ses ancêtres de Savoie défendre sa couronne sur les Alpes. Et commentant ce langage, le président du conseil écrivait de son côté à son ministre à Paris : « Tenez ferme, avec dignité, avec modération et sans reculer d’un seul pas… Sa majesté a écrit à l’empereur dans les termes de la plus cordiale amitié, mais en roi jaloux de son droit… Pour sauver l’indépendance et l’honneur du pays, il est préparé à tout, et nous sommes prêts avec lui. Évidemment on a fait croire à l’empereur que depuis l’attentat d’Orsini nous nous sommes rapprochés de l’Angleterre. Rien de plus faux. Je n’ai rien écrit à notre envoyé, à Londres au sujet de nos difficultés avec la France, et je n’en ai pas même soufflé mot à sir James Hudson… » C’était le point culminant de la crise.

Bientôt cependant la situation commençait à se détendre sensiblement. La diplomatie intime faisait son effet à côté de la diplomatie officielle, et atténuait singulièrement le danger d’une rupture possible. L’empereur s’apaisait par degrés ; il trouvait, lui aussi, que s’il y avait des conspirateurs, la faute n’était pas seulement au Piémont, elle était encore plus à la situation violente de l’Italie. Aux Tuileries, on en venait à dire que « tant qu’il y aurait des Autrichiens en Italie il y aurait des attentats à Paris, que le comte de Cavour avait raison et qu’il fallait le seconder. » Napoléon III avait fini par écrire à Victor-Emmanuel que ce n’était qu’entre bons amis qu’on pouvait traiter vivement certaines questions, il disait de faire ce qu’on pourrait et de ne plus s’inquiéter ; mais voici le plus curieux de cette crise intime des rapports de Paris et de Turin. Tandis que l’empereur s’apaisait de plus en plus et cessait de poursuivre une affaire qu’il commençait à voir d’un autre œil, le ministère français