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continuait plus que jamais sa campagne de réclamations auprès du cabinet de Turin ; il multipliait les communications presque menaçantes ; si bien qu’un jour on arrivait, — à quoi ? Le prince de Latour d’Auvergne avait été chargé de lire une nouvelle dépêche plus péremptoire au comte de Cavour. Celui-ci écoutait fort patiemment, sans la moindre émotion, puis, la lecture achevée, il disait avec la plus grande tranquillité, d’un ton amicalement narquois : « Mais c’est fini, le roi a reçu hier de l’empereur une lettre qui termine tout. » Rien n’était plus vrai, et le prince de Latour d’Auvergne, homme bienveillant, éclairé, qui exécutait fidèlement ses instructions, mais qui commençait à être sceptique sur bien des choses, n’avait plus qu’à replier sa dépêche ; il s’en allait en méditant sur la difficulté de servir les souverains qui ont deux diplomaties.

Sauver l’alliance française sans sacrifier la dignité et la liberté du pays, c’était la politique invariable de Cavour. Une fois l’inviolabilité du « statut » et la dignité nationale mises en sûreté, il n’hésitait pas, il n’avait jamais hésité à chercher un moyen de donner à l’empereur une satisfaction ou une garantie. Il y était intéressé, ne fût-ce que pour protester par un acte éclatant contre de sinistres complots. Il avait sa justification dans l’acquittement assez scandaleux d’un journal de Turin, qui, en ce moment même, se faisait un jeu d’exalter l’auteur de l’attentat du 14 janvier. Le moyen de mettre le Piémont en règle, le président du conseil croyait l’avoir trouvé dans une loi frappant de peines nouvelles « la conspiration contre la vie des souverains étrangers, l’apologie de l’assassinat politique, » et réformant la composition du jury pour les délits de presse. Cette loi n’avait certes rien d’exceptionnel, elle ne touchait ni au « statut, » ni aux conditions essentielles de la liberté de la presse, ni au principe de l’institution du jury ; elle avait plutôt une valeur morale, elle sauvegardait la responsabilité du Piémont. La difficulté néanmoins était d’obtenir une mesure si simple d’un parlement qui ne savait pas tout et à qui on ne pouvait pas tout dire. Un coup de stratégie parlementaire avait produit une commission hostile. Cavour ne perdait pas un moment, et en même temps qu’il poursuivait son œuvre diplomatique, il mettait toute son activité, toute son autorité à ramener les esprits, à réveiller chez tous le sentiment de la gravité des circonstances. Il multipliait les entretiens, où il déployait une inépuisable verve de bon sens et de patriotisme. Il ne laissait pas de rencontrer des oppositions assez vives, qu’il était, à la vérité, accoutumé à vaincre. Les uns l’accusaient de faire de l’humiliation nécessaire du Piémont devant l’étranger la rançon, de ses témérités agitatrices ; les autres lui adressaient l’éternel et banal reproche de ne pas s’appuyer sur