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nation représentée par ses chambres, pour protester solennellement, énergiquement contre ces criminelles doctrines de l’assassinat politique… »


IV

Lorsque Cavour parlait ainsi, entraînant son parlement par la puissance de la raison et du patriotisme, il avait gagné sa cause ailleurs, là où il sentait le besoin de la gagner. L’empereur lui savait gré de ce qu’il faisait. La question avait cessé d’être un péril ; mais ce qu’on ne savait pas alors, ce qu’on pouvait à peine soupçonner à quelque signe inexpliqué, c’est que le crime du 14 janvier 1858 avait été déjà et allait être bien plus encore le point de départ obscur, mystérieux, d’une phase nouvelle des affaires italiennes. Souvent on s’est demandé quel rôle avait eu réellement l’attentat de la rue Le Peletier dans les préliminaires de la guerre de 1859. Il n’avait pas certainement fait naître d’une soudaine impression de terreur une pensée qui existait déjà ; il était du moins le prétexte ou l’occasion d’un incident aussi étrange que significatif. Tandis que diplomates et parlemens discutaient encore sur quelques médiocres satisfactions ou quelques modestes articles de loi, voici ce qui se passait.

L’homme qui n’avait pas craint de semer la mort autour de lui pour atteindre le seul souverain de qui son pays pût espérer un secours, Félix Orsini, était sans doute un grand criminel, un meurtrier par fanatisme ; il n’avait cependant rien de vulgaire, il dépassait ses obscurs complices, et, par un de ces reviremens qui s’accomplissent souvent dans une âme fanatique après une crise violente, une fois placé en face de la mort, il avait retrouvé une certaine lucidité stoïque. Il avait écrit de sa prison à l’empereur une lettre qu’on laissait produire dans la défense, qu’on mettait même au Moniteur, et où il adressait à Napoléon III la prière de délivrer l’Italie. « Que votre majesté se souvienne, disait-il, que les Italiens, parmi lesquels était mon père, ont versé avec joie leur sang pour Napoléon le Grand, qu’ils lui ont été fidèles jusqu’à sa chute ; qu’elle se rappelle que la tranquillité de l’Europe et celle de votre majesté seront une chimère tant que l’Italie ne sera pas indépendante ;… qu’elle délivre ma patrie, les bénédictions de 25 millions d’hommes la suivront dans la postérité… » Ce n’est pas tout ; au dernier moment, sans essayer de se dérober à l’expiation suprême due à tant de victimes, sans faiblir devant la mort, il avait écrit une nouvelle lettre, une sorte de testament où il disait : « Dans quelques heures, je ne serai plus ; mais avant de rendre le dernier soupir,