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je veux qu’on sache, et je le déclare avec une franchise et un courage qui ne se sont jamais démentis jusqu’ici, que l’assassinat, de quelque voile qu’il se couvre, n’entre pas dans mes principes, bien que, par une fatale aberration mentale, je me sois laissé entraîner à organiser l’attentat du 14 janvier… Que mes compatriotes, au lieu de recourir au système de l’assassinat, le rejettent loin d’eux ; qu’ils sachent que la rédemption ne peut être conquise que par l’abnégation, par une constante unité d’efforts et de sacrifices : qualités qui seules feront l’Italie libre et indépendante… Quant aux victimes du 14 janvier, j’offre mon sang en sacrifice et je prie les Italiens, une fois qu’ils seront indépendans, de donner une digne compensation à ceux qui en auront souffert un dommage… » Ces paroles, ce désaveu, avaient visiblement frappé L’empereur, qui chargeait un de ses affidés les plus intimes de porter les derniers papiers d’Orsini à M. de Villamarina avec mission de les envoyer à Turin.

Pourquoi l’empereur tenait-il à envoyer ces papiers à Turin ? Que se proposait-il ? Était-ce un de ces procédés bizarres d’un esprit compliqué allant à un but vaguement entrevu par toute sorte de chemins détournés ? Toujours est-il qu’un matin de la fin de mars, Cavour, recevant tout à coup cette communication imprévue, avait à se demander ce que cela signifiait. Il n’avait pas approuvé l’insertion de la première lettre d’Orsini dans le Moniteur de Paris. Après l’envoi qui lui était fait, il n’hésitait plus, quant à lui. Le lendemain paraissaient dans la Gazette officielle de Turin tous les papiers, y compris le testament encore inconnu, avec une note constatant le désaveu, le repentir du condamné, et les conseils à la « confiance dans une auguste volonté propice à l’Italie. » Cette publication inattendue, que les incrédules prenaient d’abord pour une mystification, — c’était le 1er avril, — produisait partout une rapide et profonde impression, et, comme elle ne précédait que de quelques jours la discussion de la loi sur la presse, sur les « conspirations contre les souverains étrangers, » elle aidait singulièrement au succès : elle était présente au débat. Le président du conseil s’abstenait naturellement d’entrer sur ce point dans des explications que du reste il n’aurait pas pu donner ; il ne savait rien au juste, il avait vu seulement dans la communication qu’il avait reçue une sorte d’encouragement indistinct ou de signe d’intelligence de l’empereur, ce qui était déjà beaucoup. Il se sentait dès lors évidemment rassuré ; il attendait, lorsque bientôt après, vers le mois de mai, il recevait d’un autre côté, d’un, ami habitant Paris, familier avec le Palais-Royal, une nouvelle lettre contenant tout un plan d’alliance entre la France et le Piémont, les conditions d’arrangement, les