Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique. Je compte m’arrêter quelques jours à Pressinge ; on ne supposera pas que je conspire avec mes bons amis les De La Rive contre la paix du monde… Nous y parlerons souvent de vous, nous nous transporterons plus d’une fois en esprit dans le délicieux ermitage que vous avez su transformer pour vos amis en petit paradis terrestre… »

Le fait est qu’un secret absolu avait été gardé ; personne ne savait rien ni à Paris ni à Turin, pendant que Cavour, qui allait en Suisse « respirer l’air frais des montagnes » et qui en effet avait passé par Pressinge, s’acheminait sans bruit vers Plombières, où il était le 20 juillet. Comme il n’avait point de papiers, il aurait eu la chance à son débarquement, tout premier ministre qu’il fût, d’être retenu par un gendarme, si un officier de la maison impériale n’eût été là fort à propos pour le tirer d’embarras. Dès son arrivée, après le déjeuner, l’empereur, sous prétexte de lui faire visiter des travaux, l’emmenait dans une voiture légère qu’il conduisait lui-même, et c’est pendant cette excursion de deux ou trois heures, dans ce tête à tête en pleine campagne, que les conditions générales d’une alliance étaient arrêtées ; quelques conversations ne faisaient que les préciser. Ces conditions premières, les événemens les ont révélées en les modifiant : elles se résumaient dès lors dans la guerre à l’Autriche, la constitution d’un royaume italien de 11 millions d’âmes « environ, » la cession de la Savoie et de Nice à la France. Le mariage du prince Napoléon avec la princesse Clotilde était prévu, certainement désiré à Paris, accepté à Turin ; mais il restait un incident sans être une condition. Cavour ne passait pas plus de quarante-huit heures à Plombières. L’empereur lui témoignait les attentions les plus cordiales jusqu’à étonner ses courtisans ; il « faisait des frais, » prétendait-on. Il avait plus que du goût pour le ministre piémontais, il avait confiance en lui, autant qu’il pouvait avoir confiance. A un certain moment de ce séjour, Napoléon III, recevant une dépêche, se tournait vers son hôte en souriant et lui disait ce mot fait pour peindre une situation : « Voilà Walewski qui m’annonce que vous êtes ici ! »

La présence du comte de Cavour à Plombières ne pouvait évidemment tarder à s’ébruiter, et pour atténuer l’effet qu’elle allait produire, il se hâtait de partir, comme s’il eût continué un voyage ; il poussait jusqu’à Bade, où il rencontrait le prince-régent de Prusse, le futur empereur Guillaume, qui, après l’avoir vu, répétait : « mais il n’est pas aussi révolutionnaire qu’on veut bien le dire. » Puis revenant à travers la Suisse, il s’arrêtait dans une auberge, où il rédigeait le mémorandum des conversations de Plombières et des arrangemens adoptés. — Au milieu de tout cela cependant, sait-on