n’avait en Europe qu’une émule, une rivale, devenue une amie : la marine anglaise. La France avait inventé l’hélice, les obus Paixhans, qui venaient d’être essayés à Sinope, les batteries flottantes dont nous allions nous servir à Kinburn. Elle était au moment d’inaugurer les flottes cuirassées en lançant la Gloire, la première frégate blindée ; mais dans cette voie où nous étions entrés, les autres nations allaient bientôt nous suivre et s’efforcer de nous surpasser.
La vapeur et le blindage combinés changeaient en effet les conditions anciennes de la navigation au profit des pays, privés d’une population maritime, en permettant d’y suppléer par des soldats, de remplacer les matelots par des mécaniciens et des artilleurs. Les gouvernemens n’ont pas laissé échapper l’occasion. En peu d’années, ils ont fait dans cette carrière des pas de géans. La Russie, en tête, n’a rien négligé pour s’y assurer une position formidable. Pendant que la France, ébranlée par le choc de l’armée prussienne, cherchait à se remettre et à se reconstituer, la Russie saisissait ce moment pour se faire relever des obligations édictées dans le traité conclu à Paris en 1856. La neutralité de la Mer-Noire, arrachée à la Russie au prix de tant de sang, était abandonnée en 1871 par l’Angleterre. Cette puissance semblait alors, après avoir laissé périr son ancienne alliée de Crimée, se désintéresser complètement des affaires extérieures. La Russie redevenait donc libre de ses mouvemens dans la mer qui conduit à Constantinople. L’un de ses premiers soins fut d’y restaurer et d’y agrandir son port de construction : Nicolaïef.
Sébastopol n’a jamais été qu’un port de stationnement pour les bâtimens armés. Nicolaïef a toujours contenu les cales de construction et les magasins d’armement : c’est le véritable arsenal du midi de la Russie. Il en est sorti des vaisseaux de premier rang. Au moment de la paix de 1856, deux bâtimens de cette classe étaient sur les chantiers ; la neutralisation de la Mer-Noire en fit abandonner l’achèvement, mais Nicolaïef conserva le caractère et les ressources d’un grand arsenal. Aujourd’hui la Russie le retrouve. Il est situé au confluent de l’Ingul et du Boug ; l’accès en est défendu par des ouvrages de fortifications. La forteresse de Kinburn était un de ces ouvrages, elle fut bombardée par des troupes de terre et de mer en octobre 1855, et ceci conduit à se demander comment il se fait que la flotte qui a réduit Kinburn, il y a douze ans, au moyen de batteries flottantes, de bombardes et de canonnières, n’ait pas été pourvue d’un seul bâtiment de cette espèce lors de son envoi dans la Mer du Nord et la mer Baltique pendant la guerre avec la Prusse ! Nicolaïef n’est pas seulement un arsenal, c’est une ville populeuse. Elle a près de 60,000 habitans. On y trouve une école professionnelle de marine très bien organisée. L’arsenal pouvait être considéré