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peuvent se présenter deux de front. En 1855, quand la flotte anglo-française est arrivée devant Cronstadt, cinq de ces forts, bâtis sur des rochers en face de la forteresse principale, portaient les noms de Constantin, Alexandre, Pierre Ier, fort Kronslot et fort Risbank. L’ouvrage central, construit sur l’île où sont situés la ville et le port, était le fort Menchikof. Une enceinte fortifiée entourait la ville. L’ensemble de ces ouvrages défensifs pouvait écraser un ennemi sous les feux convergens de 3,000 pièces. Il n’y a pas au monde de citadelle mieux organisée pour repousser une attaque, et cela se conçoit, car c’est la clé de la maison. Sébastopol pris, la Russie avait une forteresse de moins ; Cronstadt forcé, Saint-Pétersbourg tombe, et l’empire est ébranlé par sa chute. Aussi n’a-t-on rien épargné pour rendre ces défenses inattaquables. Les prédécesseurs d’Alexandre II avaient dépensé 200 millions pour fortifier Cronstadt : le fort Alexandre Ier notamment était, dit-on, un modèle sans égal dans le monde ; pourtant le gouvernement n’a pas cru pouvoir se fier entièrement à ces remparts de granit, il vient de les revêtir de fer. Deux des forts ont reçu des cuirasses doublées de matelas en bois de teck. On y a construit des tourelles blindées et tournantes où sont placés deux canons du plus gros calibre. Ces canons peuvent être braqués dans toutes les directions, abaissés ou élevés par un système mécanique qu’un seul homme suffit à mouvoir. Une de ces pièces d’artillerie est un cadeau de l’empereur d’Allemagne au tsar Alexandre : politesse ironique que la Russie ne sera pas appelée sans doute à lui rendre en détail !

Ce qu’il y a de certain, c’est que Pétersbourg a pris contre Berlin, dans ces derniers temps, des précautions formidables. La frontière occidentale de l’empire russe est hérissée de forteresses ; ces défenses s’enchaînent l’une à l’autre par des voies ferrées, et sont reliées au siège du gouvernement par les grandes lignes de chemin de fer. Après la guerre de Crimée, la première préoccupation des hommes d’état qui entourèrent le nouveau souverain fut d’assurer la promptitude des communications entre les différentes parties de l’empire. Ce gouvernement prévoyant, réfléchi, qui ne dépense pas sa force en paroles, s’était parfaitement rendu compte des causes de sa défaite ; il se mit immédiatement à l’œuvre pour y remédier. La principale était la difficulté d’opérer de grandes concentrations de troupes en peu de temps à l’une des extrémités de l’empire, et, cette concentration terminée, de faire vivre l’armée ainsi réunie, alors que les transports restaient lents et incertains. Un vaste système de chemins de fer fut immédiatement conçu. Ni l’argent de la France, ni le concours de ses ingénieurs ne manquèrent pour contribuer à la rapide exécution de cette grande pensée. Tout ce qui assure, disait-on, la promptitude et la facilité des