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toute une « littérature, » comme disent nos voisins, il faut borner son désir d’apprendre, et faire un choix de ses lectures. A plus forte raison, si nous voulons sincèrement nous instruire et savoir ce que pense de nous l’Allemagne contemporaine, il sera bon de n’en pas croire toute sorte de discours, et nous ne consulterons pas toute sorte de livres. Nous nous dirons, par exemple, que des maîtres de la science et de l’érudition sont tenus de quelque réserve et de quelque tempérance de langue : ils ne peuvent pas s’abandonner à toute la fougue de leur emportement ; ils sentent, ils doivent sentir qu’un savant ou même un érudit compromet toujours quelque chose de soi dans certaines invectives non moins étrangères au ton de la bonne compagnie qu’à la science. L’avouerai-je ? mais jusque dans ces occasions solennelles, jusque dans ces banquets internationaux où ils s’arrogent d’être le porte-voix de la patrie germanique, ils nous demeureront suspects de modération, de convenance officielle. De moins gros personnages n’ont pas de ces arrière-scrupules, et tel professeur de gymnase ou de séminaire (ce sont nos écoles normales) ne craindra pas de dire hardiment, pour notre édification grande, ce qu’un correspondant de l’Institut de France n’ose guère qu’insinuer. Ni trop haut, ni trop bas non plus : l’écrivain populaire, tel journaliste qui flatte, le nez au vent, la passion du lendemain, le romancier qu’on estampille, toutes gens qui fondent sur nous leur cuisine, dépassent trop souvent leur pensée par l’expression. Ce serait injustice, mauvaise foi que de prêter à leurs clameurs une oreille trop attentive, trop prompte surtout à s’effaroucher ; mais le maître d’école, celui qui s’est donné mission de former les instituteurs de l’avenir, voilà l’homme qu’on peut lire en confiance, et dont la parole peut passer avec autorité pour le miroir fidèle des opinions, des préjugés, des passions de ces classes moyennes qui sont la force et l’honneur de l’Allemagne moderne.

C’est donc une bonne fortune quand de loin en loin, par hasard, on peut mettre la main sur quelqu’un de ces livres significatifs, d’autant plus significatifs que, revêtus des apparences du désintéressement et de l’impartialité scientifique, ils trahissent plus ouvertement la naïveté du parti-pris : le livre dont nous avons inscrit plus haut le titre est de ceux-là. Il ne sera pas mauvais d’y joindre le sous-titre : c’est un livre de famille, Hausbuch des geographischen Wissens. Les Allemands, qui ne détestent pas le mot pour rire, ont de ces appellations. Ce gros volume de 1336 pages, lourd et compact, est un manuel, et les énormes atlas des Kiepert et des Stieler sont des Hand-atlas, comme qui dirait atlas de poche. Ici du moins la mention a sa valeur ; elle précise l’intention du livre, elle en augmente pour nous l’intérêt, nous sommes dûment avertis que l’auteur s’est proposé de faire œuvre populaire et qu’il a souhaité dans son cœur de voir son manuel tenir place à la table de famille.