Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une science de dresser des arbres généalogiques, une philosophie delà statistique appliquée désormais par principes à la politique des nationalités. Du fond de notre défaite, nous en appelions à cette indestructible vitalité dont nous avons donné tant de preuves dans l’histoire, et nous aimions à nous redire que, s’il est quelque part une contrée sous le ciel dont tous les fils, au jour du danger, se retrouvent confondus dans le même amour de la patrie commune, c’est la France : nous avions compté sans l’arithmétique et sans l’ethnographie.

Sans doute il reste en France à peu près 36 millions d’habitans, mais, il y a Français et Français. Et d’abord on commencera par déduire 10,000 Bohémiens (Zigeuner), 6,000 Cagots, 200,000 Basques, 1,800,000 Wallons ou Flamands, 1,100,000 Bretons et 400,000 Italiens, en somme, et si l’on y joint quelques milliers de Juifs, 11 pour 100 de la population totale. Les Italiens, on nous avertit que nous devons renoncer à les assimiler ; les Wallons et les Flamands, qui peuplent la zone intermédiaire où s’est accompli le mélange des élémens français et germanique, ressemblent de bien plus près aux Germains qu’aux Français ; les Basques, s’il faut en croire les conclusions de la linguistique et de l’anthropologie, représenteraient, sur les confins de la France et de l’Espagne, comme un îlot préhistorique, seul témoin survivant de la disparition des races primitives de l’Europe, et, pour les Cagots des Pyrénées, on y verra les derniers restes de la race hunnique ou slave des Alains. Quant aux Bretons, héritiers de la pure tradition celtique, étrangers à notre langue, à nos mœurs, à notre histoire, on n’apprendra pas sans quelque étonnement « qu’ils considèrent tout ce qui n’est pas Breton, et le Français lui-même ou Gallo, — c’est ainsi qu’ils l’appellent, — comme leur étant absolument étranger. » À la vérité, vous pourriez vous demander ici comment il se fait que le Français et le Breton soient si manifestement étrangers l’un à l’autre, puisqu’enfin l’un et l’autre sont Celtes, et qu’à l’un comme à l’autre on applique encore les mêmes traits dont César se servait pour les dépeindre ? Ou bien, si les Français sont Romains plus que Celtes, vous pourriez à bon droit témoigner quelque surprise que la France ne pût réussir à s’assimiler 400,000 Italiens quand l’Italie, dans la seule province de Turin, s’assimile à peu près une même proportion de Français, puisque aussi bien ils sont fils de la race détestée, puisqu’ils furent également dans le passé la matière de la gloire impérissable d’Hermann ; c’est que le fin de la doctrine vous échapperait. En effet, ce ne sont là que les chiffres d’une statistique en quelque sorte officielle, ce que révèle un premier coup d’œil jeté de loin et qui s’arrête à jouer à la superficie des choses. Que si l’on pénètre un peu plus avant, on ne tardera pas à s’apercevoir qu’au fond il n’y a guère de véritables Français que ceux de l’Ile-de-France. Je traduis : « Les habitans de la Champagne sont apparentés de très près aux