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civilisation gallo-romaine qui se dégageait des débris de la civilisation romaine expirée. Au moins, rendez-nous la justice que nous vous rendons. Quoi ! nos savans, estimant que la science n’a pas de patrie, l’autre jour encore ouvraient à M. Borchardt les portes de cette académie qu’un patriotisme, respectable sans doute, mais étroit à leur sens, avait essayé vainement de lui fermer, et quelques jours plus tard M. Mommsen, à Rome, jetait publiquement l’injure à la science française. C’est un grand érudit que M. Mommsen, c’est un érudit utile et qui décide comme pas un, entre César et Pompée, le point de droit litigieux en faveur de César, mais il manque de tact. Il aurait pu se souvenir qu’il y avait là, près de lui, des Français ; le directeur par exemple de notre École française de Rome, des travaux de laquelle il n’a pas dédaigné quelquefois de profiter ; mieux que cela, l’un des rares érudits dont l’impartialité scientifique ait persisté chez nous à soutenir l’influence heureuse des races germaniques dans l’histoire.

Peut-être encore aurait-il pu se souvenir que dans cet opuscule d’un Latin dont les Allemands ont fait leur évangile, je veux dire la Germanie de Tacite, il était quelque part écrit que les Germains n’ont pas de rancune, apud eos inimicitiæ non implacabiles durant, luitur enim etiam homicidium certo armentorum numero. Cinq milliards ! comme disaient nos pères, c’est pourtant un joli denier. Comme s’il n’était pas ridicule autant qu’odieux de vouloir à toute force, en pleine civilisation, transformer une guerre politique en une guerre de races, une nouvelle lutte inexpiable. Heureusement que c’est le rôle de M. Geffroy d’avoir raison contre les incartades et les déclamations de M. Mommsen ; il lui a répondu, comme ici même il avait en 1870 répondu au pamphlet célèbre, Agli Iialiani, comme il avait pris, soin de répondre par avance à ces revendications de l’orgueil allemand, quand il écrivait ces nobles et impartiales paroles : « Quiconque voudrait nier dans l’histoire générale les influences de races, risquerait de nier l’initiative des différera génies, et, pour tout dire, la liberté et la solidarité humaines. Quiconque ne verrait dans cette diversité qu’un motif d’antagonisme, de division et de haine, fermerait les yeux aux progrès des plus grands peuples, et en particulier à tout le patient et bienfaisant travail de la civilisation française. »


FERDINAND BRUNETIERE.