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s’affuble en toute circonstance d’un masque convenu ; le Français au contraire ne se soucie pas de jeter le manteau de la vertu sur ses vices. »

Nos aspirations vers la liberté l’intéressent ; nous avons à ce sujet des théories plus nobles et plus élevées, selon lui, que celles d’aucun autre peuple, mais ce sont des rêves de poètes trop hardis, d’autant qu’ils sont suivis « d’une action faible, de longues torpeurs et de réveils terribles où l’on veut tout entreprendre à la fois. » C’est une erreur d’avoir fait la république avant de faire des républicains, avant d’avoir appris la première des vertus républicaines, la patience.

Du reste, M. Rhodes ne s’attarde pas longtemps sur ces graves sujets de la religion et du gouvernement ; son allure est celle d’un flâneur désintéressé qui observe sans pédantisme et pêle-mêle les petites choses et les grandes.

Rien de plus piquant que sa première impression, en arrivant en France, sur l’aspect physique d’un peuple qui ne s’est jamais sérieusement retrempé dans les exercices du sport ; « ils rament pour avoir le prétexte d’endosser un costume de fantaisie, ils apprennent à nager comme on apprend à danser, c’est un luxe ; la brutalité de la boxe l’empêchera toujours de prendre racine chez eux ; les luttes athlétiques ne trouvent grâce à leurs yeux que comme autrefois en Grèce pour la beauté des poses plastiques ; de s’entraîner à courir, à sauter, il n’est pas question. Comme écuyer, le Français est peut-être sous le rapport de l’élégance supérieur aux cavaliers du monde entier, mais il est moins solidement en selle. L’utilité ici, et c’est le cas pour bien d’autres choses, est subordonnée à l’effet. » On sent dans ces appréciations l’amateur d’équitation comanche, de périlleux canotage sur les lacs illimités, d’énergiques combats contre les rapides ; en revanche, il reconnaît notre supériorité en matière d’escrime, « comme moyen de défendre ce fameux point d’honneur autour duquel on fait tant de bruit. » Les protections quasi paternelles que l’administration, objet de ses continuelles plaisanteries, accorde à l’administré amusent fort M. Rhodes. Vous devenez entre les mains des agens responsables un petit enfant, voire un simple paquet ; mais, pourquoi le nier ? c’est commode. Tout est facile et plein de grâce dans cette vie française admirablement organisée sous le rapport matériel ; le chauvinisme, le goût des panaches et des galons, ne sont point compris, cela va sans dire, par un cosmopolite démocrate ; il compare gaiment le Français au coq gaulois, son emblème : brillant plumage, galanterie, attachement invétéré à son poulailler, sentiment instinctif de la parade, tout y est ; mais avec ses travers, qui ont leur attrait de naïveté, la société française est encore aimable entre toutes, celle des femmes surtout.

M. Rhodes n’hésite pas à mettre la Française au-dessus des femmes même de son pays, non pour la beauté ni la culture intellectuelle, mais pour la permanence du charme. Elle reste agréable et fraîche à