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à établir son indépendance ; l’une et l’autre, dégagées par cette résistance à leurs conseils, eussent repris leur liberté d’action et modifié leurs desseins. Tout cela est la vérité même ; d’où vient pourtant que, deux ou trois mois plus tard, après que le traité du 15 novembre a été ratifié par l’Autriche et la Prusse (18 avril 1832), après qu’il a été ratifié par la Russie sauf quelques réserves un peu mesquines (4 mai 1832), après que le roi Louis-Philippe a donné un nouveau gage de son bon vouloir pour la Belgique en accordant sa fille la princesse Louise au roi Léopold, Stockmar persiste dans ses accusations contre la politique française, contre Louis-Philippe et M. de Talleyrand ? Le 4 juillet 1832, notez la date, il écrit de Londres la lettre que je vais traduire :


« Talleyrand a eu dès le début son propre plan dans les affaires de Belgique. Quel est ce plan, je n’en sais rien ; ce que je sais de science certaine, c’est que le gouvernement français, — malgré tout ce que Louis-Philippe et Sébastiani ont pu promettre dans la question belge, — n’a jamais empêché Talleyrand de suivre la marche qu’il s’était tracée. Une chose que je tiens pour vraisemblable au plus haut degré, c’est que, si nous pouvions connaître les lettres envoyées de Paris à Talleyrand, nous verrions qu’on a toujours écrit à Bruxelles autrement qu’on n’écrivait à Londres. Je crois que Talleyrand dès le principe a représenté la question belge comme extrêmement dangereuse et qu’il a dit à son gouvernement : « Si vous ne me laissez pas faire, vous verrez où vous conduira votre façon libérale de régler ces questions. » Louis-Philippe, qui a une confiance sans bornes dans la finesse et le savoir-faire de Talleyrand et qui se sent auprès de lui comme un écolier auprès du maître, lui aura sans doute écrit dès le commencement : « N’ayez nulle inquiétude, je vous laisserai agir. Il y a deux personnes qui me gênent par leur impatience, c’est Léopold et Perier ; je parlerai toujours de manière à les contenter, je dirai qu’il faut vous adresser les instructions les plus précises, — mais je vous autorise à faire ce que vous jugerez bon. »

« Je le répète, je ne connais pas le plan particulier de Talleyrand, mais ce qu’il a cru absolument nécessaire pour le mener à bien, c’est une affectation de bons rapports avec les Hollandais. Avec son grand tact et sa connaissance des hommes, il ne pouvait pas éviter que cette amitié ne parût suspecte à beaucoup de personnes et que les ministres anglais surtout n’en conçussent une vive défiance. Mareuil (le ministre de France à La Haye qui est venu au mois de juin faire l’intérim de Talleyrand à Londres), Mareuil, qui est au moins son élève, s’il ne lui touche pas encore de plus près, veut naturellement ne pas se montrer indigne du maître. Il exagère encore l’attitude que Talleyrand lui a prescrite ; il témoigne trop d’amitié aux Hollandais, trop de malveillance