Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/752

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malencontreuses. C’était une aveugle concession au parti protectioniste, un signe du désordre qui régnait alors dans les esprits. Cette aberration du gouvernement, qui donna lieu à une discussion animée dans le sénat impérial en 1870, a limité des branches de la fabrication et du commerce, qui ne demandaient qu’à s’accroître et qui en avaient le droit[1].

En Angleterre de même, la fabrication des soieries, qui, avons-nous dit, vivait en 1824 à l’ombre de la prohibition et prétendait ne pouvoir vivre autrement, ne fut pas ralentie lorsqu’à la prohibition succédèrent, en 1824, des droits élevés, en 1846 des droits modérés sur les soieries étrangères, et elle a très bien résisté lorsque, en 1860, l’entrée de celles-ci a pu se faire en parfaite exemption de droits.

Le même fait s’est manifesté chez des peuples qui, par la nature de leur terroir et le caractère de leur climat, n’ont eu jusqu’ici que des capitaux restreints. La Suède en offre un remarquable exemple dont le ministre d’Angleterre à Stockholm, M. Erskine, a fait l’exposé dans une dépêche à son gouvernement. Cette dépêche a été imprimée et a fort intéressé le public.

Frappée des résultats que l’industrie cotonnière procurait à l’Angleterre, la Suède avait voulu filer le coton et le tisser, et, selon la mode d’alors, elle avait adopté le régime des droits prohibitifs et de la prohibition même, pour encourager cette industrie naissante. Les droits s’appliquaient aux gros numéros, la prohibition aux numéros fins. Avec tous ces moyens, on ne put atteindre qu’une production annuelle valant 272,000 francs en 1830. On conçut alors quelques doutes sur l’efficacité du système restrictif, et en 1831 la prohibition fut levée. Les filés anglais entrèrent, mais la production nationale ne baissa point. Au contraire, de 1837 à 1841, elle fut en moyenne de 1,920,000 francs. A partir de 1842, les droits furent réduits. Les protectionistes, selon leur usage, annoncèrent que c’en était fait de la filature suédoise. Loin de là, elle se développa. En 1858, le droit étant de 45 centimes par kilogramme, taux modéré pour les numéros fins (chez nous, il y a des sortes qui paient le décuple), la production de la Suède en filés de coton était de 17 millions de francs. En 1865, le droit n’étant plus que de 30 centimes, elle fut de 22 millions de francs, soit quatre-vingt-deux fois autant qu’à l’époque où elle jouissait de la prohibition et des droits prohibitifs. La dépêche de M. Erskine mentionne dix ou douze industries de la Suède où, par le même moyen, la substitution d’un tarif libéral à un tarif exagéré ou à la

  1. . La chambre de commerce de Nancy a récemment pris une délibération très remarquable au sujet des importations temporaires.