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peuple français paierait-il un tribut à ces catégories de producteurs plutôt qu’aux fabricans qui filent, tissent ou teignent la soie, ou qu’aux manufacturiers de Reims, du Gâteau et autres lieux, qui ont la spécialité des mérinos et des autres tissus de laine longue ? pourquoi plutôt qu’aux producteurs qui nous fournissent le blé, le vin, la viande, plutôt qu’aux hommes très méritans qui font profession de cultiver les sciences, les lettres et les arts ou qu’aux avocats ou aux médecins ? De quel droit les innombrables citoyens dont le métier nécessite l’emploi des diverses variétés de fer subiraient-ils à perpétuité les conséquences dommageables d’un enchérissement artificiel des diverses sortes et formes de ce métal ? Pareillement, de quel droit les manufacturiers dont les filés de coton sont la matière première, tels que les tisseurs de calicot, de madapolam et d’autres articles analogues, les imprimeurs d’indiennes, les fabricans de mousseline, de tulle et de broderies, seraient-ils indéfiniment les victimes d’un arrangement du même genre ? Tous les Français étant égaux devant la loi, tous les producteurs, à quelque industrie qu’ils appartiennent, sont fondés à se réclamer de ce principe d’égalité. Puisqu’on ne veut plus d’aristocratie ni de classes privilégiées, on est tenu de reconnaître que chacun de nous ne doit d’impôt qu’à l’état, à son département ou à sa commune, et non pas à de simples citoyens. Nous espérons donc n’être pas blâmés, et être approuvés au contraire quand nous demandons, sans animosité contre personne et en rendant justice à la sincérité de nos adversaires, la réforme et l’abolition successive des dispositions protectionistes du tarif des douanes, dont le résultat et même l’objet sont de constituer des privilèges et des monopoles pour les uns, des tributs à la charge des autres.

Les Anglais, qui ne sont pas à beaucoup près engagés dans la voie démocratique au même degré que nous, qui ne sont pas en république, et au contraire tiennent infiniment à leurs rois et à leur royauté, les Anglais, qui ont et conservent une noblesse exerçant par droit d’hérédité les fonctions législatives, les Anglais, qui n’ont pas le suffrage universel et ne semblent pas à la veille de le prendre, nous ont donné un grand exemple : ils ont pensé que le régime protectioniste était éminemment attentatoire à l’égalité et à la liberté. En conséquence ils ont aboli, comme des iniquités spécialement offensives pour le grand nombre, tous les arrangement protectionistes dont naguère leur tarif était rempli. Les Allemands, qui, moins que les Anglais, se sont soustraits à l’influence des traditions féodales, ont compris que l’équité commandait de se rallier à la politique commerciale de la liberté, et ils suivent la même voie que l’Angleterre. Il est bien difficile que la troisième république française