Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relever ce qu’il peut des pierres tombées, et renouveler les branches vertes qui marquent sur le parvis les tombes des Indiens convertis. Si quelque étranger désire connaître l’histoire de cette église, c’est à ce sauvage qu’il doit s’adresser. Aujourd’hui âgé de cent vingt ans, il était un jeune homme lorsque les Espagnols débarquèrent sur cette côte. Une bande de franciscains vint de Monterey et planta la croix sur le territoire appartenant à sa tribu. D’abord les Indiens se tinrent à l’écart et restèrent sur la défensive. « Ces étrangers étaient venus d’au-delà les mers comme les oiseaux, personne ne savait d’où. Pourquoi étaient-ils venus, si ce n’était pas pour voler les squaws, couper le gazon et prendre les cerfs et les antilopes ? Cependant lorsque les pères élevèrent l’image de la belle femme blanche (la Vierge) et chantèrent leur musique du monde des esprits, ils se glissèrent tout contre la clôture de briques séchées au soleil, afin de contempler cette image et d’écouter ce psaume. Puis peu à peu leurs craintes se calmèrent. En offrant de la nourriture aux affamés, des habits à ceux qui étaient nus, des potions aux malades, les bons pères s’ouvrirent l’accès de ces cœurs sauvages et soupçonneux. Ils dirent aux naturels qu’ils leur apportaient un message d’au-delà les nuages. Le grand-esprit, leur ouvrant un nouveau et plus court chemin pour la terre des âmes, leur avait donné San-Carlos, un des princes qui siègent en sa présence, pour leur guide et leur saint. Qui aurait pu repousser de tels maîtres ? Les pères franciscains étaient doux de discours et graves de mœurs. Pas un mensonge ne sortait de leurs lèvres, pas un vol ne pouvait leur être attribué. Ils ne prenaient aucune femme de force, ils ne chassaient aucun natif de sa hutte. Dans toutes leurs actions, ils paraissaient les amis des Indiens. » Ils le furent en effet. Ils les avaient trouvés nus, logés dans des huttes sans art, se nourrissant de reptiles et de racines sauvages ; ils leur apprirent à se vêtir, à faire cuire leurs alimens, à se construire des demeures, à cultiver les champs, à moudre le grain, à planter la vigne et l’olivier. En reconnaissance de ces bienfaits, les Rumsens, — tel était le nom que portaient les Indiens de cette région, — se convertirent, et après eux leurs voisins, les Tulorenos, avec lesquels ils étaient en guerre depuis un temps immémorial. Dès lors ils entrèrent dans un état de société où l’on peut dire qu’ils ne connurent de la civilisation que ses douceurs, les franciscains la leur dosant à leur force, et leur laissant toutes celles de leurs habitudes qui n’étaient pas offensantes pour la morale et la religion. Il n’y eut qu’une seule coutume qu’ils ne purent vaincre, la coutume de vendre leurs femmes et leurs filles, coutume dont tous les pouvoirs qui leur ont succédé n’ont pas mieux réussi à triompher. « Aujourd’hui les filles des hommes rouges